On a pris l’habitude d’employer le terme relations internationales, c’est un terme générique, utilisé dans les milieux académiques, universitaires, les milieux scientifiques comme dans les milieux politiques ou journalistiques, et ces relations internationales sont devenues discipline d’analyse dès la fin de la première guerre mondiale. C’est d’ailleurs assez curieux de voir que les deux moments forts de création des relations internationales correspondent à chaque fois à la fin d’une des deux guerres mondiales. En 1919 on veut lancer ce qu’on appelle alors les études de la paix, c’est-à -dire essayer de construire une analyse scientifique du monde de manière à donner à la paix le maximum de chance. Et en 1945, à l’issue de la seconde guerre mondiale, cet horrible conflit qui a fait 60 millions de morts, ce n’est pas tellement à la paix que l’on pense mais à la puissance. La puissance qui avait libéré le monde du monstre nazi, la puissance qui allait devenir la base même de l’analyse des relations internationales. On oublie un peu la paix, on va privilégier, c’est normal on entre dans la guerre froide, l’étude des conflits, on va considérer en quelque sorte que le système international est aux mains de ce qu’on appellera les grandes puissances. Aujourd’hui, la notion de puissance parait un peu bizarre, rabougrie, incertaine, ambiguë, il suffit de penser par exemple que les Etats-Unis, la grande super puissance, principal vainqueur de la seconde guerre mondiale n’ont jamais gagné seuls, un seul conflit depuis 1945. Cela signifie que la puissance n’épuise pas la réalité du jeu international. Cela signifie que, bâtir une science sur l’idée de puissance est insuffisant. Il faut élargir l’analyse. Et, à un moment où l’on parle beaucoup de mondialisation, on comprend instinctivement que, ni la puissance, ni même les acteurs de la puissance, c’est-à -dire les Etats, ne suffisent à comprendre le monde tel qu’il est aujourd’hui, il faut s’ouvrir aux sociétés, il faut faire comme si les relations internationales étaient en fait devenues des relations intersociales. C’est normal, et nous verrons à maintes reprises les facilités de communication, l’extraordinaire visibilité du monde, tout ceci engage la société et les 7 milliards d’humains dans le grand jeu mondial. Et bien, l’espace mondial c’est ça, c’est la construction de ce grand jeu mondial auquel nul n’échappe, ça veut dire notamment, considérer le monde non plus par la voie étroite de la seule science politique, mais de l’ensemble des sciences sociales réunies pour comprendre ce monde globalisé dans sa complexité. Cela veut dire non seulement faire de la science politique, mais faire aussi de l’histoire, faire aussi de la géographie, faire du droit, faire de l’économie, faire de la sociologie, faire de l’anthropologie, faire de la philosophie. L’Espace mondial c’est une discipline si l’on peut dire transdisciplinaire, ou plutôt c’est un champ d’études qui réunit différentes disciplines. Alors, cette vision est un peu en rupture par rapport à cette science de l’international officielle dont je parlais tout à l’heure, elle apparait d’avantage européenne qu’américaine et d’avantage française qu’européenne. Pourquoi ? Et bien parce que, paradoxalement, la tradition académique française a laissé assez peu de place à la science politique pour rendre compte du monde. La France, comme communauté académique, était beaucoup plus portée vers l’étude de l’histoire des relations internationales, qui peut ignorer le nom de Renouvin ou de Duroselle, ou de manière beaucoup plus contemporaine, Georges Henri Soutou, Robert Franck, Maurice Vaïsse, cette grande tradition française de l’histoire des relations internationales va ainsi renouer avec l’étude de la globalité de manière peut-être plus sûre que les études classiques de science politique telles qu’elles sont menées outre-atlantique. Et puis aussi parce qu’il y a en France une très forte tradition de droit international, inaugurée par le grand juriste de l’entre-deux-guerres Georges Scelles, qui va introduire l’idée de comprénétration entre les sociétés comme élément de base de la mondialisation. Surtout comment ignorer le nom du grand sociologue français Emile Durkheim. Alors il y a quelque chose de paradoxal, ce grand sociologue, de la fin du 19e et du début du 20e siècle n’a pratiquement jamais rien dit des relations internationales, ni de ce que nous appelons aujourd’hui l’Espace mondial, ça n’était pas son sujet. Ce qui l’intéressait c‘était la construction des nations et des sociétés dans ce monde qui s’industrialisait à la fin de notre 19e siècle. Et, s’intéressant aux sociétés, le grand homme a mis en évidence ce concept clé d’intégration sociale. Pas de puissance, pas de pouvoir pour Durkheim, ce qui intéresse Durkheim c’est l’intégration sociale, et pourquoi l’intégration sociale parce que Durkheim nous explique que, sans intégration sociale, il y a conflit généralisé, il y a lutte des classes, il y a révolution, l’intégration sociale est indispensable à la survie des sociétés. Et bien, le pari de ce cours, c’est de s’inspirer de Durkheim, mais à une autre échelle. C’est-à -dire considérer que le monde, dans son interdépendance telle que nous la connaissons aujourd’hui avec la mondialisation a besoin d’intégration sociale internationale. C’est la même perspective. Et, parmi les disciples de Durkheim déjà , dès la fin du 19e siècle, un homme politique comme Léon Bourgeois avait compris ce prolongement international de l’idée d’intégration sociale, ce qui lui a valu, par parenthèse, d’être le premier président de la Société des Nations. Je vous propose de faire de ce concept d’intégration sociale internationale l’une des clés, l’un des fils rouges de notre analyse de l’espace mondial telle qu’elle va être menée tout au long de ce cours. De comprendre comment le monde pour survivre a besoin de mettre en pratique cette intégration sociale internationale. Et d’ailleurs, dès 1919 cela a commencé avec la création de l’OIT, de l’Organisation Internationale du Travail et le phénomène sera prolongé au lendemain de la seconde guerre mondiale par les grandes organisations du système onusien telle que l’UNICEF qui s’intéresse aux enfants, ou telle que la FAO qui s’intéresse à l’alimentation. Puis, plus tard, le PNUD, le Programme des Nations unies pour le Développement. Il y a là , une ligne à suivre que nous suivrons ensemble. A partir du moment où on cesse d’être obsédé par une puissance qui n’en finit pas de trouver ses marques, à partir du moment où on regarde dans la direction de cette intégration sociale internationale et bien 3 axes vont s’imposer qui vont nourrir notre réflexion que nous allons mener ensemble. La première est de comprendre l’importance et la réalité des enjeux sociaux internationaux, autrement plus important que les enjeux stratégiques, politico-militaires ou diplomatico-stratégiques. Aujourd’hui, la faim dans le monde fait 6 millions de morts par an, c’est dire que l’enjeu que représente l’alimentation mondiale est considérablement plus important que la bombinette nord-coréenne ou que les vapeurs saoudiennes ou iraniennes. Il va falloir relire le monde à travers ces enjeux sociaux internationaux. Ce qui nous amènera à prendre en compte, plus qui ne l’est fait généralement, les acteurs internationaux non-étatiques. Alors on pense spontanément aux firmes multinationales, on pense aux ONG, mais il faut aussi introduire les medias internationaux, l’opinion publique internationale et puis, au-delà encore, il faut savoir s’intéresser à ces réseaux sociaux qui transpercent, qui dépassent les frontières et qui de plus en plus animent un jeu international qui est en fait devenu un jeu mondial. Et enfin, troisièmement, cette lecture de l’intégration sociale internationale, c’est aussi une nouvelle lecture de la guerre et de la paix. Vous savez, on a un peu trop tendance à accepter la guerre comme une fatalité, c’est d’ailleurs dans la culture occidentale que de le faire, la guerre étant la relation normale entre Etats. Mais regardons de plus près : les guerres aujourd’hui ne sont plus interétatiques. Les guerres aujourd’hui ne sont plus des rivalités de puissances, c’est comme des rivalités de faiblesses, faiblesse des Etats qui se décomposent, faiblesse des nations qui n’ont plus de contrat social, faiblesse des société qui sont décomposées, parce que sans ressources, parce que trop pauvres, parce que trop faibles dans leur capacité de produire du lien social, de l’amitié, de la coopération. Et bien voilà , Espace mondial, c’est ça, c’est-à -dire cette nouvelle intelligence du monde qui ne repose plus sur le pari facile, et aujourd’hui naïf des relations interétatiques, mais qui essaie de comprendre le jeu mondial comme étant cette gigantesque crise sociale généralisée. C’est elle que nous aurons en tête lorsque nous examinerons les différentes questions qui se rapportent à la vie et au devenir de l’Espace mondial. C’est ce à quoi, mesdames et messieurs, avec grand plaisir nous vous invitons.