Nous aborderons l’interaction entre Guerre et Paix
autour de trois thématiques majeures.
La première, les origines de la guerre clausewitzienne.
La Guerre est généralement définie
comme un conflit entre Etats
qui en viennent à l’usage de la force.
Dans une vision traditionnelle,
la guerre est le résultat normatif
d’une rivalité interétatique.
La rivalité est durable,
et à son pic, il y a une situation de guerre,
c’est pour cela que dans notre histoire européenne,
notamment depuis Hobbes, la guerre est considérée
comme une norme ou normale dans l’arène internationale.
Hobbes nous expliquait que les Etats
étaient comme des gladiateurs dans l’arène,
ce qui veut dire qu’ils sont autorisés à utiliser
tous les moyens pour dominer leurs rivaux,
y compris la force.
C’est la raison pour laquelle, la paix
est seulement un moment entre des guerres.
C’est peut-être l’une des figures les plus pessimistes
de notre conception occidentale
des relations internationales :
la guerre est au centre des relations internationales,
quand la paix est considérée
comme une situation entre deux guerres.
Cette vision pessimiste est importante,
car dans cette construction hobbesienne,
nous signifions que la guerre
est synonyme des relations internationales,
la science des relations internationales
est considérée comme la science de la guerre.
Mais, derrière cette conception pessimiste,
il existe quelque chose d’important pour nous,
à savoir que la guerre
est considérée comme fonctionnelle.
La guerre est fonctionnelle pour quatre raisons :
La première raison est que la guerre
est considérée comme un instrument de la réalisation
d’une compétition entre Etats.
2e raison : la guerre
est aussi considérée comme fonctionnelle
dans la réévaluation de la puissance de l’Etat,
la redistribution des pouvoirs,
la redéfinition des conditions d’équilibre
des pouvoirs chez les Etats.
3e condition : La guerre est aussi fonctionnelle
pour dessiner les territoires et les frontières.
4e : La guerre est surtout
considérée comme fonctionnelle car elle incarne
l’instrument majeur de la fabrication des Etats.
D’où la référence au sociologue
et historien américain, Charles Tilly, selon lequel
« la guerre fait l’Etat et l’Etat fait la guerre ».
Dans l’histoire de l’Etat européen,
la fiscalité était établie par la guerre en Europe.
L’administration publique a été créée
durant les guerres et par les guerres ;
la légitimité de l’Etat
a été redéfinie et renforcée par les guerres.
La construction des nations
a été fortement définie
ou structurée par les guerres
et c’est probablement
l’une des principales questions évoquées
par le philosophe et juriste allemand, Karl Schmitt,
selon lequel l’inimitié (donc l’ennemi)
est fonctionnelle dans la construction d’une nation.
Sans ennemi, une nation ne peut pas
se construire et se développer proprement.
Une nation a besoin d’ennemi pour exister
et être au centre de l’histoire de la collectivité,
qui est amenée à être transformée en nation.
Sans ennemi donc, pas de nation forte.
C’est une formule terrible mais c’est l’une
des pierres angulaires de nos histoires en Europe.
L’inimitié à l’intérieur de l’Europe
a été le principal instrument
pour façonner la carte politique de notre vieux continent.
Nos histoires et cartes européennes
ont été façonnées par la guerre,
et cela explique aussi le processus de fragmentation,
qui a pris place tout au long de l’histoire moderne de l’Europe.
La carte politique contemporaine de l’Europe
est surtout structurée par une succession de guerres,
qui ont eu lieu du traité de Westphalie en 1648
aux deux guerres mondiales :
1914-1918, 1939-1945.
Charles Tilly a expliqué que cette vision
donnait crédit à son fameux concept de l’Etat du racket,
à savoir un Etat qui a pour objectif
de renforcer et de consolider ses capacités
par l’usage de la menace
en mobilisant ses propres citoyens.
Et ainsi, Charles Tilly a expliqué
que pendant l’histoire de l’Europe,
les Etats ont même créé l’insécurité et la menace
pour mobiliser leurs propres citoyens
dans le but de renforcer le niveau
de la construction de la nation
à l’intérieur de chaque Etat constituant la carte européenne.
Et maintenant, que dire ?
Première question : est-ce que cette histoire
de l’Europe est pertinente
pour expliquer les autres histoires ?
S’est-elle réalisée ailleurs cette histoire ? Pas vraiment.
Ce processus de construction de la guerre
est exclusivement européen
et peut difficilement s’exporter à d’autres histoires.
Deuxième question : Sommes-nous
aujourd’hui dans cette catégorie de guerre ?
Non, il y a de nouvelles catégories de guerre.
Et la définition traditionnelle
n’est plus pertinente de nos jours.
D’abord, parce que les nouvelles guerres
ne sont plus menées par les Etats,
mais par des acteurs non-étatiques.
Ensuite, car les rivalités territoriales
n’ont pas beaucoup de sens aujourd’hui,
mais le rôle d’une rivalité territoriale
dans l’organisation et le déclenchement d’une guerre,
est moins important qu’auparavant.
Enfin, car le concept d’ennemi
n’a plus la même pertinence qu’autrefois.
C’est pour cela que notre culture de la guerre
nous provient d’une histoire courte dans le temps,
une séquence de l’histoire de l’Europe.
Et c’est pour cela que notre vision
doit reconsidérer notre monde présent
et les guerres actuelles et imaginer
ce que sont les nouveaux conflits internationaux.
Passons au deuxième point :
l’émergence des nouveaux conflits internationaux.
La vision traditionnelle européenne de la guerre
a été inventée et réellement installée par
Carl von Clausewitz au début du XIXe siècle
dans son fameux livre « De la guerre »,
dans lequel il explique que la guerre
est un instrument, un instrument politique
et un instrument de l’Etat.
Mary Kaldor fait partie des premiers universitaires
à avoir pointé du doigt
ces nouveaux conflits internationaux dans son livre
« New wars, Old wars » (Nouvelles guerres, guerres anciennes).
Elle y montre que les nouvelles guerres
sont si différentes des guerres en Europe,
que nous devons inventer un nouveau concept
et définir une nouvelle sociologie.
Qu’est-ce qu’un nouveau conflit international ?
D’après une étude du Peace Research Institute à Oslo,
nous savons maintenant que sur
les 416 guerres répertoriées depuis 1946,
382 d’entre elles étaient infraétatiques,
c’est-à-dire à l’intérieur des Etats,
63 interétatiques et 21 extra-étatiques,
à savoir surtout des guerres coloniales ou post-coloniales.
Cette domination des guerres infra-étatiques
renouvelle totalement la vision et la conception
que nous avons dans notre culture européenne
à propos de la guerre.
La principale différence est que désormais
si nous regardons les guerres courantes,
les guerres n’ont pas lieu entre les puissances,
mais surtout entre les Etats faibles.
C’est là un paradoxe majeur.
Dans la vision hobbesienne,
la guerre est une question de pouvoir, de puissance,
seulement des acteurs puissants
se battaient les uns contre les autres.
C’était une sorte de compétition entre les puissances.
Désormais, les puissances ne rivalisent plus comme avant
ou ne rivalisent directement plus les unes contre les autres,
mais le centre principal des guerres
prend désormais place
dans les régions les plus pauvres du monde.
C’est une transformation forte.
Si nous prenons en compte ces conflits après 1945,
75% d’entre eux
sont localisés en Asie du Sud,
au Proche-Orient et en Afrique.
Pour la première fois depuis le traité de Westphalie,
1648 donc, l’Europe
n’est plus le théâtre mondial des guerres.
Les acteurs et observateurs
prennent-ils en compte cette transformation ?
Les Européens ne réalisaient pas
qu’ils ne sont plus au centre des guerres.
La guerre n’a désormais plus lieu chez eux,
mais très loin de l’Europe
et il n’est pas certain qu’ils puissent gérer
et réguler les guerres qui n’ont pas lieu
sur leur continent comme auparavant.
Première transformation : le changement de ressources.
Nous sommes désormais dans un monde
affecté par une forte diversification
des ressources de la puissance.
Les ressources militaires ne sont plus désormais
des ressources de puissance, comme aux XIXe et XXe siècles.
Plus encore, les ressources militaires
ne constituent plus les ressources les plus efficientes.
2e transformation : le changement de valeurs.
La guerre n’est plus cette source de prestige
comme elle l’était auparavant.
La guerre était considérée comme le principal
emblème de l’aristocratie, quelque chose de noble,
ce qui n’est plus le cas désormais.
Les nouvelles générations
et les nouvelles formes de socialisation
ont transformé cette idée de guerre,
qui n’est plus considérée comme une source de prestige
mais comme une source de drames.
3e transformation : le changement de légitimité.
La guerre était fondée sur l’idée très simple
que dans l’arène internationale,
l’état de violence était une violence légitime,
alors que l’état de non-violence était considéré
comme une violence non légitime.
Quand durant la Seconde guerre mondiale,
la résistance a été activée par des acteurs non-étatiques,
cela a été considéré comme plus légitime
que la violence utilisée par l’Etat allemand.
Cette nouvelle confusion entre la violence étatique
et la violence non-étatique
rend difficile la distinction.
La simple vision de l’Etat
qui est nécessairement légitime
quand cela porte la violence n’est plus adéquate aujourd’hui
comme c’était le cas hier.
4e et avant-dernière transformation :
un changement de l’instrument militaire.
Depuis 1945, le monde a été dominé
par les puissances nucléaires.
Les armes nucléaires n’avaient pas joué le même rôle
que les armes conventionnelles et les armes nucléaires
ont introduit l’idée selon laquelle la puissance
n’était plus en capacité de domination,
mais en capacité de destruction, ce n’est pas la même chose.
Et cette capacité de destruction est si terrifiante
que la guerre a été considérée
comme impossible sur le vieux continent,
puisque la guerre nucléaire a été considérée
comme non-rationnelle
et même comme logiquement impossible.
Enfin, dernière transformation :
nous sommes désormais dans un monde
où il n’y a plus de victoire à la fin de la guerre,
la guerre se développe désormais
sans une réelle chance de victoire pour les acteurs.
D’après les études antérieures,
nous pouvons dorénavant établir
que seulement 13% des guerres,
dans le monde des guerres d’après 1945
ont une réelle chance d’une victoire claire et nette.
C’est l’illustration d’un nouveau contexte.
Mais les nouveaux conflits internationaux
sont aussi liés à un nouveau profil de la guerre.
A savoir des nouveaux acteurs,
nouveaux objectifs et nouveaux rôles pour les civils.
Nouveaux acteurs : les principaux acteurs
dans les nouveaux conflits internationaux
sont les acteurs non-étatiques,
à travers des milices, des seigneurs de guerre,
c’est-à-dire des entrepreneurs de violence,
qui n’ont pas la même rationalité que les acteurs étatiques.
Les entrepreneurs de violence
sont bien plus récalcitrants aux négociations,
car ils n’ont aucun intérêt à négocier.
S’ils négocient, ils disparaissent en tant que tels.
Or, les seigneurs de guerre
ont besoin de la guerre pour survivre,
alors que les Etats n’ont pas nécessairement besoin de la guerre.
Mais parfois la paix est bien plus attractive
pour les Etats que la guerre ;
ce n’est pas le cas pour les entrepreneurs de violence.
Dans cette nouvelle forme de mobilisation,
l’identité, et même la haine,
jouent un rôle majeur, bien plus important
que l’intérêt national.
Les guerres anciennes
sont connectées à l’intérêt national,
alors que les nouvelles guerres sont connectées
à l’identité et à la haine,
mobilisant des acteurs de la société civile
comme les enfants soldats.
Il y a entre 300 000 et 500 000 enfants-soldats,
impliqués dans ces nouveaux conflits.
Ils sont issus des sociétés, qui sont incapables
de leur fournir le minimum de sécurité humaine,
faim, santé, éducation
et qui finissent pas trouver dans les milices
et les nouveaux conflits les principales ressources
dont ils ont besoin pour survivre.
Nouveaux objectifs :
Cela signifie qu’à la place de la compétition
pour l’intérêt national, nous sommes en face
d’une situation dans laquelle la cause majeure d’un conflit
est à trouver dans la crise du contrat social,
l’effondrement de l’Etat et celui des nations.
Ce qui veut dire que les nouveaux objectifs
ne relèvent pas de la compétition, mais de la substitution.
Plus de compétition chez les Etats
mais une substitution de l’Etat,
de l’Etat effondré, de l’Etat failli.
Nouveaux rôle des civils :
le déficit d’intégration
est le principal facteur de la guerre
et ainsi l’insuffisance d’intégration sociale
définit une situation dans laquelle
la guerre peut être considérée comme l’objectif de guerre.
La guerre devient la finalité de la guerre.
Ce qui veut dire que nous sommes
entrés dans un nouveau monde,
considéré comme une société en guerre,
un monde donc fabriqué autour de sociétés guerrières.
Qu’est-ce qu’une société guerrière ?
Il s’agit d’une société dans laquelle
les individus trouvent dans la guerre donc
le principal moyen de survie,
et c’est pourquoi il s’agit de la troisième figure
des nouveaux conflits internationaux.
Les civils sont désormais
au centre de ces conflits et jouent un rôle
qui est plus important que le rôle joué par les militaires,
ainsi ces nouveaux conflits internationaux
sont de nature à dé-différencier l’armée des civils.
La société guerrière est probablement
l’une des destinations les plus douloureuses
de ces nouveaux conflits internationaux
et il s’agit là des nouvelles figures des conflits mondiaux.
Donc, troisième et dernière partie :
les nouveaux conflits internationaux comme dilemme
dans la création d’un agenda international.
Comment faire face à ces nouveaux conflits internationaux ?
et comment essayer de les régler ?
Ces questions sont difficiles
et ni les acteurs politiques actuels,
ni les diplomates, ne sont réellement capables
d’apporter de sérieuses
et nouvelles réponses à ces questions,
et c’est probablement la raison pour laquelle
nous ne sommes pas réellement capables
d’organiser notre nouveau monde.
S’il y a de nouveaux conflits,
c’est parce qu’il y a une nouvelle forme de violence internationale,
ce n’est plus une violence politique ou interétatique
classique comme on l’a vu, mais une violence internationale
qui émane des sociétés, laquelle
est produite par des acteurs sociaux.