[MUSIQUE] [ÉTRANGER] [ÉTRANGER] [ÉTRANGER] [ÉTRANGER] Je m'appelle Filippo Pirone. Je suis Italien, j'habite en France depuis désormais 15 ans. Je suis enseignant chercheur à l'Université de Bordeaux. Ma vie est ici, ma famille est ici, j'ai deux enfants, Dario et Alexia. Il a 10 ans et ma fille a deux ans. >> Où êtes-vous né exactement en Italie? >> Je suis né à Bergame, pas loin de Milan en Lombardie. >> Est-ce que vous pourriez nous présenter votre enfance, dans quel type de famille vous avez grandi, dans quel environnement linguistique aussi? >> J'ai grandi avec une sœur aînée qui habite elle aussi en France, et un frère qui est plus jeune que moi. Il a 14 ans de moins que moi, et maintenant il habite lui aussi en France. En Italie, on parlait italien à la maison mais comme dans beaucoup d'autres villes que Bergame en Italie, de temps en temps il y avait des expressions dialectales en bergamasque et du côté de ma mère et de napolitain du côté de mon père, notamment lors de moments où ils étaient un peu énervés, où il y avait des émotions qui se passaient. Par ailleurs, entre jeunes ça se parlait aussi pas mal en bergamasque comme on dit, comme la seconde langue qui était un peu dans le contexte de vie. >> Il y avait une présence peut-être un peu fantomatique de la France et du français, je crois. >> Dans l'expérience familiale, l'immigration était déjà présente puisque le père de ma mère, donc mon grand-père, avait émigré en France il y a fort longtemps, peut-être il y a 50 ans. Nous avons gardé un contact avec ce grand-père parce qu'il venait nous rendre visite. Donc, on avait en quelque sorte la France qui était déjà là , qui était déjà présente et Paris en tout cas à la maison régulièrement. Donc, on a eu déjà cette expérience-là en arrière-plan. >> Quelles images vous aviez à ce moment-là enfant de la France et de Paris? >> C'était très, très vague parce que pour le coup, c'était vraiment des récits, c'était des images, peut-être c'était des fronts, ça me fascinait beaucoup. [MUSIQUE] >> Très vite, vous avez eu un intérêt pour l'altérité, enfant. >> Oui, je pense que j'étais porté assez rapidement sur l'altérité, la langue étrangère. J'ai beaucoup écouté de la musique déjà qui venait d'ailleurs, notamment toute la musique qui venait des États-Unis et d'Angleterre, avec un vrai intérêt pour la sonorité linguistique mais aussi surtout plus généralement peut-être un goût pour l'altérité de lorsqu'on passait des vacances dans des campings du nord de l'Italie, campings qui sont très souvent fréquentés par des gens du nord, notamment les Néerlandais ou des gens de Belgique, qui sont des populations qui déjà à l'âge où moi j'avais peut-être sept, huit ans, on parlait beaucoup mieux que les Italiens anglais. Et moi, c'est vrai que par rapport aux copains italiens, j'étais beaucoup plus attiré vers ces populations. J'avais envie de les connaître, de rester avec eux, de comprendre ce qu'ils faisaient, comment ils raisonnaient, et ça m'a en quelque sorte amené à améliorer mon anglais et très vite, de comprendre de quelle manière d'autres langues étrangères pouvaient me rapprocher des populations et donc de cette altérité vers laquelle j'étais un peu attiré. >> Alors, vous passez l'équivalent de votre baccalauréat et vous entrez à l'université de Trieste. Qu'est-ce que vous décidez de faire comme type d'études? >> Je rentre effectivement en 2000 à l'université de Trieste. Il faut savoir que Trieste et Bergame c'est presque 400 kilomètres, donc c'est la première fois où je quitte mon foyer. Je quitte mes parents pour aller vivre tout seul en tant qu'étudiant universitaire. Je décide de m'inscrire en sciences de l'éducation, à l'époque il n'y avait pas autant de facultés qui présentaient ce type de cursus. Pourquoi les sciences de l'éducation? Parce que j'ai une tradition de mère, grand-mère institutrice. Donc, disons que les questions d'éducation m'ont toujours intéressé, en tout cas étaient toujours bien présentes. Mais plus généralement, c'était l'offre curriculaire qui m'attirait le plus, parce qu'il me semblait que justement c'était, en tout cas dans les premières années, une faculté qui permettait de continuer cette transversalité dans les sciences sociales et sciences humaines, qui était mon domaine de prédilection sans doute, mais sans trop se spécialiser tout de suite en tout cas, en me laissant encore au moins trois, quatre ans pour pouvoir voir ce qui m'intéressait davantage. Et à Trieste, c'est un carrefour des cultures européennes et d'ailleurs. >> Vous allez au bout de quelques années avoir une bourse Erasmus pour pouvoir étudier en France. Alors, pourquoi le choix de la France? >> Effectivement, une bourse Erasmus c'est la troisième année de licence à la Sorbonne Nouvelle- Paris 3. Paris parce que ma sœur aînée habitait déjà , que j'avais eu l'occasion de visiter. Donc, je suis un peu tombé amoureux de cette ville-là , vraiment très intéressante, vraiment multiculturelle, à portée humaine, à la différence par exemple avec une autre ville multiculturelle comme Londres que j'ai trouvée beaucoup plus distanciée par rapport à cette idée-là que j'avais d'une ville à mesure d'homme. Et dans tous les cas, ça m'est resté vraiment imprimé comme ville et j'ai eu la chance de pouvoir y vivre pendant un an grâce à cette bourse. >> Vous parliez déjà français? >> Alors, j'ai étudié à l'école parce que c'est sans doute lié à cette passion dont j'ai parlée tout à l'heure des langues étrangères, de l'altérité en tout cas. J'ai décidé de faire ce qu'on appelle un lycée linguistique dans lequel j'ai étudié trois langues étrangères, l'anglais bien sûr mais aussi l'allemand et le français. Je parlais déjà français d'une manière scolaire, ça m'a quand même beaucoup servi d'avoir eu ces bases-là pour pouvoir le parler vraiment, le pratiquer. Cela évidemment, lorsqu'on habite dans une ville étrangère, on se rend compte que l'enseignement scolaire peut avoir ses vertus, mais ce n'est pas du tout un vrai apprentissage de la langue. Il faut vraiment vivre le contexte. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Est-ce que vous vous souvenez des premières images, des premières impressions et sensations de ce séjour en France? Est-ce que tout a été comme sur des roulettes? >> Pendant l'Erasmus, non. Effectivement, c'était un désenchantement assez rapide parce que les conditions de vie n'étaient pas du tout faciles. Déjà , ouvrir un compte en banque, pouvoir faire ce qu'on appelle des papiers, essayer de trouver un appartement. Alors, j'ai eu la chance au début, les deux premiers mois, une copine de ma sœur a pu sous-louer son appartement parce qu'elle n'était pas là . Mais une fois qu'elle était revenue, j'ai dû me mettre à la recherche d'un appartement. Je pense qu'aujourd'hui, c'est encore pire, mais déjà à l'époque, on parlait de 2003-2004, c'était déjà assez difficile si l'on n'avait pas de bourse, en tout cas d'allocation pour pouvoir habiter dans des campus comme à la cité universitaire, ce n'était pas mon cas, de pouvoir se débrouiller, donc de trouver des appartements. Et j'ai vécu une expérience très mauvaise dans un appartement dans lequel au bout d'une semaine, on m'a dit qu'il n'y avait plus de place pour moi et j'étais en gros sur le palier avec mes valises en n'ayant plus de solution. Ce genre de choses c'était très difficile. Deuxième chose qui est liée sans doute, c'est les prix. C'est-à -dire que même avec une vie étudiante, même en allant au resto universitaire, de vivre la vie parisienne demande beaucoup d'argent. Et donc, j'ai dû effectivement trouver des petits jobs. Moi j'avais quand même une expérience dans la restauration en tant que serveur, ça m'a beaucoup aidé, mais dans deux occasions différentes, j'ai trouvé deux expériences de patrons vraiment pas sympas. J'étais vraiment assez maltraité. Je n'étais pas le seul, pas seulement parce que j'étais étranger, c'était vraiment les conditions du resto un peu à la chaîne, à la parisienne dans lesquelles il fallait marcher au pas et voilà , les patrons n'avaient aucune compréhension des petites difficultés d'un jeune qui venait de s'installer, etc. Ils n'avaient pas le temps pour ça. Et ces genre de choses m'ont beaucoup aussi marqué négativement, désenchanté. Et la troisième peut-être chose encore plus forte c'est la pauvreté apparente, c'est-à -dire que le nombre de gens qui n'ont pas de logement et qui vivent dans la rue m'a vraiment choqué en fait. En Italie, il y a je pense beaucoup moins, y compris dans des métropoles comme Milan. Alors, est-ce que c'est parce qu'il y en a moins de manière quantitative ou est-ce qu'on les voit moins? En tout cas, ici on vit avec. Vraiment. C'est sûr que maintenant, j'ai fait l'habitude malheureusement, mais au début je pense que je n'étais pas le seul à être vraiment choqué par rapport à ça. >> Comment ça s'est passé à l'université? Est-ce que là aussi vous avez été frappé par des similitudes avec le système italien ou alors de grandes différences? Ce qui m'a plu c'est le fait de suivre des cours que je trouvais vraiment de très bonne qualité. Après, des différences un peu plus rigolotes. Par exemple ici, l'importance de la ponctualité. Disons qu'en Italie, c'est institué par exemple ce qu'on appelle un quart d'heure académique. C'est si le cours commence à 10h, il est sûr qu'au moins jusqu'à 10h et quart, il n'y aura rien. Le professeur ne sera pas là , il arrivera au moins avec ce quart d'heure académique. Donc, c'est un peu plus souple. Ici, je m'étais fait recadrer à plusieurs reprises. Après, j'ai appris au fur et à mesure que si je n'arrivais pas à l'heure, je pouvais être exclu carrément des cours. Après, il était sans doute, au début c'était très difficile de suivre parce que la cadence linguistique était assez dense. Les enseignants ne répétaient pas pour les étudiants étrangers, donc c'était très dur. Mais c'était un vrai apprentissage par la suite. >> Donc, il y avait quand même ce défi de la langue aussi. >> Oui, c'était un vrai défi et je pense que ce défi-là m'a beaucoup aidé par ailleurs à l'apprendre un peu mieux cette langue et me l'approprier aussi d'une manière je dirais académique et scientifique. Et par ailleurs, c'est grâce à ça que vers la fin de mon séjour d'Erasmus, j'ai rencontré la mère de mon premier enfant, des raisons pour lesquelles m'ont poussé à m'installer définitivement en France. Après avoir obtenu la licence [INCONNU] des sciences de l'éducation, je me suis inscrit en Master de sciences de l'éducation à l'université de Paris VIII, et depuis je n'ai plus quitté la France. >> Vous avez passé votre doctorat et vous êtes donc maître de conférences maintenant. >> Voilà , c'est ça. Exactement. Je suis maître de conférences après avoir terminé un master et un doctorat à Paris VIII. J'ai soutenu en 2014 mon doctorat et j'ai trouvé un poste de maître de conférences en 2016 à l'université de Bordeaux. [MUSIQUE] >> Vous avez fait votre thèse en partie sur l'échec scolaire. Qu'est-ce qui fait que vous vous êtes intéressé à ce point-là précis? >> Oui, effectivement. Une partie de ma thèse était consacrée à l'étude d'un dispositif qui s'appelle Microlycée et qui est destiné pour ce qu'on appelle des anciens décrocheurs qui décident de reprendre leurs études pour arriver à obtenir le baccalauréat. Je pense que c'est lié un peu à un constat que j'ai fait un peu naïf, qui s'est confirmé après de manière un peu plus physiologique par la suite, scientifiquement. C'est qu'en France, il est très important une fois qu'on prend des voies d'orientation, que ce soit professionnelle ou d'études, etc., il est très difficile de pouvoir dévier de ces voies-là . Et le fait justement de parler en France de chance, de donner des chances, et une fois qu'on n'a pas réussi à saisir notre première chance, elle vous donne beaucoup moins de possibilités par la suite d'avoir une deuxième chance. Et le fait qu'il doive exister ce genre de dispositifs comme les microlycées qui sont aussi des dispositifs de deuxième chance a beaucoup attiré mon attention parce qu'en Italie, disons qu'il est beaucoup plus facile de dévier, de perdre un peu de temps aussi, par exemple de redoubler. D'ailleurs, c'est ça aussi, ça m'a surpris de retrouver un langage aussi scolaire à l'université, j'ai redoublé mon année université. En Italie, on ne dit pas trop ça, c'est-à -dire que du commencement de l'inscription jusqu'au diplôme, vous pouvez passer trois, quatre, cinq, six ans, en organisant un peu comme vous voulez votre cursus universitaire, en faisant vos expériences à côté, ce que j'ai fait moi, sans forcément courir le risque de ne plus revenir dans les études. En France, on court beaucoup plus ce risque-là . Et je pense que ce constat-là , j'ai voulu un peu l'explorer de manière scientifique. >> Alors, Filippo, depuis cette année 2003 où vous êtes arrivé pour la première fois en France, de quelles manières et la France et la langue française vous ont transformé? >> Disons que la langue française, pendant ces longues années, 15 c'est à la fois long et court, mais bon. En tant que changement, j'ai beaucoup changé, c'est sûr et certain [INCOMPREHENSIBLE] sans doute d'une part de manière à me former à ma carrière, c'est-à -dire qu'en même temps que je formais mes compétences linguistiques de langue parlée, j'ai construit aussi des paradigmes intellectuels de la culture française académique. Je donne maintenant des conférences, ça ne fait pas très longtemps, en italien. J'ai beaucoup plus de mal à parler séance en italien parce que les notions même de lorsque je les utilise dans le langage de tous les jours sont des notions que j'ai apprises sur des ouvrages français, dans des cours universitaires d'enseignants français, et même si peut-être il y a la traduction exacte en italien, j'ai beaucoup plus de mal à les manier en italien ou me les approprier. Mais en même temps, le français ça m'a aussi formé de manière informelle. Moi, c'est le français que j'ai appris, c'est le français de comptoir aussi, c'est le français de bar, c'est le français de la troisième mi-temps au rugby, sport que j'ai pu pratiquer en arrivant en France, que je connaissais un peu en Italie mais que je n'ai pas pratiqué. J'étais ancien rugbyman et c'est un autre français. C'est pourtant la même langue, mais voilà , c'est deux dimensions en quelque sorte. Et donc, les chansons paillardes ou que l'on peut chanter lorsqu'on va jouer dans une autre ville, etc. Ça m'a totalement imprégné en quelque sorte. [MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Merci beaucoup Filippo. Et passons maintenant à notre petit questionnaire final. Alors, à quelle couleur associez-vous la France? >> Je dirais le rouge. C'est une des deux couleurs partagées par le drapeau français avec celui italien, mais je préfère beaucoup plus le rouge que le blanc en gros. Et ça me rappelle un peu les manifs auxquelles je peux participer en France. >> À quelle odeur? >> Le fromage. Mais je trouve ça une odeur très agréable, une odeur de bistrot ou de choses très bonnes à manger, à déguster. >> À quelle saveur? >> Du Bordeaux. Le vin. Le vin rouge, je pense que j'ai commencé vraiment à apprécier le vin rouge en France. Le vin rouge c'est la France pour moi. >> Votre paysage préféré. >> La côte bretonne, le Finistère. Pour moi, c'est vraiment le paysage le plus beau. Je trouve ça nulle part ailleurs. >> Votre son préféré? >> La Mano Negra. [RIRES] Je pense que c'est l'un des premiers groupes que j'ai connus en arrivant en France. Et c'était pour moi une très, très bonne découverte. J'ai adoré et j'adore toujours. >> Votre sensation préférée? >> La sensation préférée c'est d'être un peu au centre du monde. Et à Paris, moi je me sens un peu au centre du monde car je retrouve un peu le carrefour du monde ici à Paris. >> Concernant la langue, quel serait votre mot préféré à prononcer ou à utiliser en français? >> Coup, c-o-u-p. Boire un coup ou aussi autre chose. Un bon coup, par exemple. >> Quel est votre mot détesté? >> Papier. Papier parce que c'est les papiers. En fait, ça fait partie des mauvaises premières expériences. C'est-à -dire que quoi que l'on fasse, on vous demande des papiers, des certificats, c'est très difficile, c'est très compliqué. Pour moi moins que pour d'autres, mais pour moi aussi ça a été compliqué. >> Quel est le mot de votre langue maternelle qui manque à la langue française? >> [ÉTRANGER]. La traduction n'existe pas justement mais ce serait l'idée d'avoir deux plats de résistance, ce qu'il y a en fait dans les restos italiens, et un premier plat de résistance qui sont plutôt des pâtes ou des risottos et un deuxième plat qui serait de la viande ou du poisson. >> Quel est le mot qui existe en français et que vous n'avez pas en italien? >> La réussite. C'est très important en France et ce terme, c'est utilisé dans plusieurs domaines, que ce soit sportif ou éducatif. Je trouve qu'en Italie, j'ai beaucoup de mal à l'expliquer aux Italiens. [AUDIO_VIDE]