[MUSIQUE] [MUSIQUE] [ÉTRANGER] [ÉTRANGER] [ÉTRANGER] [ÉTRANGER] [ÉTRANGER] Bonjour tout le monde, je m'appelle Miao. Je suis Professeur de chinois à l'Université de Lyon III. J'enseigne le chinois aux étudiants francophones en France. >> Miao, vous êtes née en 1979 à Taïwan. Quels sont les souvenirs qui sont associés à votre enfance? >> Des souvenirs associés à mon enfance, quand j'avais six ans à peu près, j'étais à l'école primaire, je parlais naturellement ma première langue maternelle qui est donc le taïwanais, et très vite, je me suis fait interdire par l'école et ça a été une mesure faite à tous les enfants de mon âge pour nous interdire de parler autre langue que la langue autorisée qui est le chinois. >> Le taïwanais et le chinois sont deux langues qui sont totalement distinctes? >> Ce sont tout à fait deux langues distinctes, c'est-à -dire qu'une personne parlant le chinois et le taïwanais, s'ils ne connaissent pas l'autre langue, ils ne peuvent pas du tout se comprendre. >> À la maison, vous parliez le taïwanais? Et alors, le chinois, vous l'avez appris à l'école ou c'était une langue aussi qui circulait facilement dans votre famille? >> Non, ce n'était pas une langue qui circulait à la maison. Mais évidemment, c'est une langue qui est parlée, utilisée en dehors de la cellule restreinte familiale. À la télé déjà , on entend le chinois, mais le taïwanais non, pas à l'époque de mon enfance, lorsque j'étais petite. >> Quelles seraient les images qui sont associées à cette enfance? On a parlé de souvenirs de langues, mais est-ce qu'il y a d'autres choses que l'on pourrait raconter? >> Il y avait à l'époque cette langue dominante qui est le chinois, langue officielle de Taïwan. Alors, il faut toujours se situer dans le contexte historique, sachant qu'il y a plus de 40 ans, parce que j'ai plus de 40 ans, au-delà . À l'époque, le gouvernement taïwanais faisait la promotion de la langue officielle, le chinois. On avait cette tentation d'interdire les autres langues, ce qui a fait que, par exemple ça me fait penser à mes cousins qui ne parlent pas taïwanais, or ils ont eux-mêmes leurs parents ainsi que nos grand-parents qui parlaient le taïwanais, le japonais entre autres, mais pas le chinois. Ce qui mène à vous raconter cette anecdote, c'est que lorsque je vois ne parlant pas autre langue que le chinois, ils n'avaient pas de moyen de communiquer avec leurs propres grand-parents. Pour ce qui est de mon propre cas, moi et mes trois sœurs, puisque nous maîtrisons aussi le taïwanais, nous on n'avait pas cette rupture intergénérationnelle avec nos grand-parents. Donc, je voyais bien que mes grand-parents avaient cette frustration de ne pas pouvoir communiquer avec leurs propres petits-enfants, tandis que nous les quatre filles... Alors, après il faut aussi savoir que dans cette société asiatique, ils considèrent que les garçons sont plus importants que les filles, le fait que les garçons avaient cette impossibilité de communiquer avec leurs propres parents, tandis que nous les filles on avait... Je sais que cela a généré une frustration de la part de mes grand-parents par exemple. >> Quand est-ce que le français est entré dans votre vie, Miao? Est-ce que c'est pendant le lycée ou alors est-ce que c'est arrivé avec l'université? >> J'ai appris le français quand j'ai commencé mes études universitaires. J'avais 18 ans. C'était une totale découverte pour moi. Et donc en fait, j'ai fait une licence de français comme langue. L'intitulé c'était Langue et littérature françaises. Comme on peut imaginer, le français appris à l'université lorsqu'on est à l'étranger en dehors de France sans le côté de la pratique, j'avais une maîtrise très petite, très limitée, mais je suis venue en France en licence III dans le cadre d'échanges d'université. J'étais à l'Université de la culture à Taipei pour mon cursus de français, et je suis venue pour être une étudiante échange avec l'INALCO précisément. >> Vous n'aviez donc jamais étudié le français avant d'entrer à l'université? Pourquoi ce choix? >> J'étais déjà très intéressée par les langues. Et c'est vrai que chose intéressante peut-être à souligner, c'était que le français n'était pas ma première langue étrangère. Pour moi, la LV1 c'était l'anglais. Mais l'anglais, j'ai commencé à l'âge de 10 ans à peu près, et puis 12 ans avec le collège mais lorsque j'ai terminé mes études secondaires, c'était à ce moment-là que je pouvais commencer à avoir la possibilité de réfléchir sur quel parcours et en l'occurrence quelle langue. Et là , j'avais eu envie d'apprendre cette langue, le français, qui avait déjà la réputation d'être une langue romantique. >> Vous arrivez donc en France, et est-ce que vous découvrez la réalité d'une langue romantique? Quelles sont les images que vous avez une fois arrivée? Est-ce qu'elles correspondent à l'image que vous vous faisiez? >> Non. Je pense que je peux dire que non. Une fois quand j'ai découvert le français authentique en France, évidemment j'avais eu une période de difficulté au niveau de la communication avec les vrais Français que je rencontrais. J'habitais à la cité universitaire. Et l'exemple que je vais vous raconter, je passais un coup de téléphone, je téléphonais dans une cabine téléphonique. À l'époque, on n'avait pas de téléphone portable, il fallait acheter une carte à puce avec crédit, tout ça. Donc, je me retrouvais dans une cabine téléphonique pour téléphoner au RATP je crois pour demander l'avancement de ma demande de la carte Imagine R étudiante que je ne recevais toujours pas. Après, je ne sais plus ce que j'ai dit exactement, mais la dame qui me répondait au téléphone après m'avoir écoutée, elle m'a simplement dit, mademoiselle, je ne comprends pas ce que vous me dites. Allez chercher un Français qui parle français pour m'expliquer votre problème. Et donc, moi j'avais compris l'essentiel de ce message, c'était que je n'étais pas compréhensible. Et donc voilà , j'éprouvais déjà un sentiment d'échec. J'avais 20 ans à peine, oui je crois. Alors, j'ai raccroché, et puis après je me souviens que j'ai encore refait quelques pas et je suis tombée dans une deuxième cabine téléphonique et j'ai retéléphoné, et cette fois-ci c'était une autre personne qui m'a compris et qui a répondu à ma question et donc voilà , finalement, l'affaire a finalement réussi à être terminée. [MUSIQUE] >> Quelles étaient les grandes différences entre l'idée que vous vous faisiez du pays et ce que vous avez découvert? >> Pour parler du premier jour de mon arrivée, c'était le 1er octobre 1999. Pourquoi je me souviens aussi bien de cette date? C'est parce que j'étais avec mes camarades de la promotion, on était cinq, six. On arrivait à Charles de Gaulle accueillis à l'aéroport par une professeure et quelques étudiants de l'INALCO, deux chinois. Je me souviens qu'on était dans le RER avec nos bagages, et l'une des étudiantes nous a dit, bon ben, bonne fête nationale. Déjà , je me souviens qu'on n'a pas compris tout de suite l'énoncé, le français. On a mis un peu de temps à comprendre, bonne fête signifie telle chose. Et puis après, une fois quand on a compris la signification, on s'est dit, non ce n'est pas une fête nationale pour nous les étudiants taïwanais venant de Taïwan et on cherchait évidemment très vite à essayer de comprendre pourquoi un tel souhait. Eh bien, on a compris que c'est parce qu'on nous a dit ça comme si on était des Chinois de la République populaire de Chine, et donc la Chine qui a la fête nationale le 1er octobre, premier décalage peut-être plutôt par rapport à ce qu'on perçoit de vous et de ce que réellement on éprouve de ce que nous sommes. >> Et les Français, comment est-ce que vous les avez perçus? >> Tout ce que je peux réellement souligner de ma première année de séjour en France c'était que j'affrontais en permanence cette difficulté de communication. Et donc, chaque Français que je rencontrais c'était donc le défi de communication, parce qu'on ne se comprenait pas et donc en fait, pour moi, les Français étaient vraiment des étrangers au sens avec qui on ne peut pas communiquer et avoir un rapport, une relation, un échange, tout ça. Donc, je dirais que les Français étaient pour moi des étrangers parmi d'autres. >> Vous finissez cette année en France, vous retournez à Taïwan, mais très vite vous prenez la décision de revenir en France puisqu'en 2002, vous passez votre diplôme de français langue étrangère à Grenoble. Qu'est-ce qui vous a fait revenir en France? >> Qu'est-ce qui m'a fait revenir en France? C'était qu'en fait, j'ai étudié le français pour très précisément l'objectif de devenir professeur de français à Taïwan, donc retourner pour être près de mes parents et puis exercer ce métier de professeur de langue, en l'occurrence le français. Donc, en fait, je suis revenue en France pour l'objectif de me former en français langue étrangère et puis obtenir une qualification, un diplôme pour ensuite pouvoir envisager retourner là où je suis venue et puis de continuer à transmettre cette langue aux gens de Taïwan. >> Les choses ne se sont pas tout à fait passées comme ça, puisque maintenant vous enseignez le chinois et que vous êtes toujours en France. Pourquoi? Que s'est-il passé? >> J'ai commencé à imaginer, penser à cette possibilité de faire profiter ce que j'ai appris en enseignement de langue, et puis cette fois-ci de le transformer en enseignement d'une langue que je maîtrisais déjà avant de venir en France, donc enseigner le chinois. >> Avec cette idée de rester en France. >> Avec cette idée de rester en France, oui. Parce que, alors ça a commencé à être envisagé et planifié parce que je faisais mon master et au moment où j'ai demandé l'inscription de mon master, c'était toujours encore avec le projet de français langue étrangère. Mais c'est pendant cette année-là que j'ai... parce que j'étais en master didactique et acquisition des langues, j'avais des camarades de toutes les langues, en espagnol, ou autres. Et puis c'est dans ces échanges de langues que j'ai pu réaliser et me rendre compte que voilà , je peux aussi élargir mon champ de travail possible et donc c'est là que j'ai commencé en même temps être étudiante de master et commencer à donner quelques cours de chinois aux Français qui souhaitaient apprendre le chinois. Et c'est comme ça que ça a commencé. >> Mais ce projet didactique des langues n'aurait pas pu être possible à Taïwan? >> Il n'aurait pas pu être possible à Taïwan pour le chinois parce que les étrangers à Taïwan restent encore peu nombreux, et si j'étais restée à Taïwan, ça devrait donc être simplement la didactique du français comme projet possible. >> Donc, de fil en aiguille, on en arrive jusqu'en 2018 où là vous devenez maître de conférence en linguistique chinoise, entre-temps vous avez passé votre doctorat aussi en didactique du chinois. Là on n'est plus du tout face à la jeune étudiante qui doit se battre en permanence pour essayer de communiquer avec les Français. Donc, comment est-ce que vous vous situez depuis ce moment-là par rapport à la langue française? >> La langue française est devenue une langue tellement naturelle pour moi aujourd'hui parce qu'en fait je travaille en français. Petit à petit, ça ne vient pas comme ça d'un coup. Lorsque je me rends compte que la radio par exemple, quand je suis en France, au départ, au début la radio en français ne me gênait pas quand je travaillais. Je pouvais laisser allumée la radio tout en faisant des tas d'autres choses, et jusqu'au jour où j'ai pris conscience que je ne peux plus continuer à faire cette possibilité de laisser allumée la télé ou la radio, que je commençais à me rendre compte que le français, maintenant je peux le comprendre même de façon passive peut-être. Ou alors comme par exemple lorsque j'ai commencé à faire des rêves en français, c'est là aussi que j'ai eu consciemment de comprendre qu'il y a eu un déclic pour ma maîtrise du français. Ou alors encore dans des situations peut-être plus inattendues lorsque j'ai à peut-être m'affronter, pas forcément disputer mais argumenter ou de voilà , c'est dans ces moments-là , ou alors donner des consignes précises aux étudiants. Maintenant, je me sens plus à l'aise de le faire en français et pas en une autre langue. >> Comment cohabitent toutes ces langues que vous parlez, donc le français, le chinois que vous enseignez et le taïwanais? >> Alors, comment cohabiter? J'ai envie de dire, non c'est très difficile de cohabiter tout ça ensemble. Ça me fait penser à une écrivaine que j'aime beaucoup, Agota Kristof, qui parle du français comme étant une langue ennemie pour elle. Elle décrit ça, elle parle pas que pour... il faut le préciser, parce que langue ennemie ça peut paraître étrange comme expression. Elle a dit que pour elle, le français n'était pas une première langue ennemie, langue ennemie, elle la décrit comme étant une langue des dominants ou des envahisseurs. Elle a parlé de l'allemand et du russe comme pour elle les premières langues ennemies, et ensuite elle a fini par dire que le français aussi est une langue ennemie pour elle parce que... Agota Kristof, elle n'a pas eu le français non plus comme sa première langue, comme sa langue maternelle. C'est une langue d'adoption pour elle et ça je le ressens aussi, que le français est une langue d'adoption pour moi. Langue ennemie, ça diffuse pas seulement ennemie qui peut faire penser à la haine, c'est aussi l'amour, c'est aussi tellement la langue devient présente qu'elle a dit explicitement que langue ennemie parce que ça commence à tuer sa langue maternelle. Et j'ai le sentiment que ça éprouve à peu près la même chose pour mon cas. Maintenant, lorsque j'ai... Le taïwanais pour moi c'est toujours la langue que j'utilise avec mes parents toujours au téléphone, tout ça, c'est la langue naturelle, ça ne peut pas être autre chose. Mais quand je réalise que je dois utiliser cette langue première pour moi et que je trébuche en taïwanais, que je me dis, là , il y a un problème, le français devient plus spontané au point que ça pourrait tuer la langue maternelle. C'est très complexe. [MUSIQUE] >> Vous avez deux enfants. Donc, vous leur parlez en quelle langue? Français et taïwanais? >> Je parle le chinois à mes deux enfants, donc le chinois mandarin et pas le taïwanais. Et finalement, c'est vrai que depuis quelques années, je commence à me dire que c'est peut-être une erreur de ma part, j'aurais dû peut-être dès le départ leur parler plutôt en taïwanais qu'en chinois, mais mon conjoint qui maîtrise également le chinois, donc c'est vrai qu'au début, il y a une dizaine d'années de là , on s'était dit, moi le chinois et lui le français. Il est français. Et donc, voilà , je parle le chinois avec mes enfants. Et lorsque je parle le taïwanais avec mes parents, mes enfants ne comprennent pas. Et donc, finalement, je reproduis une sorte de un peu comme mes grand-parents et mes cousins sauf que ce n'est pas tout à fait non plus ça parce que mes enfants ont le chinois comme langue qu'ils peuvent utiliser pour communiquer avec mes parents, qui maîtrisent aussi le chinois. >> Est-ce que vous avez le sentiment que pendant ces 20 ans où le français vous a accompagné, il vous a aussi transformé dans votre manière de réfléchir par exemple? Est-ce que le fait de parler cette langue vous fait réfléchir différemment que lorsque vous pensez ou vous pensiez en taïwanais ou en chinois? >> Oui, évidemment. Parce qu'on apprend le français, on n'apprend pas simplement le français, on apprend également tous les concepts qu'on peut apprendre via cette langue, qui sont des concepts qui peuvent être absents dans ma langue première. Oui, cela a à mon avis beaucoup impacté dans ma façon de penser évidemment. En fait, je crois qu'on touche aux questions identitaires là . J'ai également vécu cinq ans au Vietnam. Je suis revenue en France en 2005, donc il y a cinq ans de là , Et très précisément, je trouve que je suis devenue française pendant ce séjour au Vietnam. Et avant d'aller au Vietnam, j'avais vécu déjà à peu près dix ans en France et lorsque je suis partie au Vietnam, je n'avais pas encore précisément la nationalité française. Et c'était en faisant cette expérience de vivre dans encore un autre pays qui n'est ni le pays là où je suis venue ni la France qui est un pays d'adoption maintenant pour moi, que j'ai pris conscience que finalement, ma manière d'être, ma façon de penser est devenue très française. >> Aujourd'hui, vous avez les deux passeports. >> Oui. Donc, c'était précisément au Vietnam que j'ai fait la démarche de devenir française et je crois que symboliquement, à ce moment-là pour moi c'était devenu légitime et peut-être pas avant. Avant, je continuais à être une étrangère maîtrisant la langue d'adoption le français, et c'était peut-être cette période-là que petit à petit, l'identité se transformait et qu'il y avait eu avec l'affirmation de l'acquisition de la nationalité pour réellement acter la chose et que finalement, je peux finir par me dire, j'assume tout ça. [MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Merci beaucoup Miao pour cet entretien. Passons maintenant au questionnaire final. À quelle couleur associez-vous la France? >> Le bleu. C'est l'influence de mon fils, lui qui aime beaucoup le foot et qui regarde les matchs. Donc voilà , c'est le bleu. >> À quelle odeur? >> Le fromage Munster, que j'aime beaucoup. >> À quelle saveur? >> Du vin. >> Quel est votre paysage préféré? >> La mer. La Bretagne. >> Quel est votre son préféré? >> La pluie. La pluie qui peut me rappeler de mon pays d'origine. À Taïwan c'est la mousson. Il suffit de quelques gouttes de pluie pour me rappeler de là où je suis née. >> Quelle est votre sensation préférée? >> Je pense à la sensation de moi en haut d'une piste de ski, toute seule, après le télésiège, l'angoisse. >> Concernant la langue française, quel est votre mot préféré à prononcer ou à utiliser? >> C'est le mot empathie, qui est quelque chose que je trouve important. >> Quel est votre mot détesté? >> La jalousie peut-être. La jalousie parce que je trouve que c'est quelque chose qui détruit notre bien-être. >> Quel est le mot de votre langue maternelle qui manque à la langue française? >> Hao. La piété filiale, ça existe en un seul mot qui est vraiment un terme central pour la société asiatique, hao. >> Quel est le mot qui existe en français et que vous n'avez pas dans votre langue maternelle? >> Je dirais peut-être le mot l'inconscient par exemple. Si on doit l'expliquer en taïwanais, ce serait conscience néant, mais si on l'utilise, c'est un peu comme si on parle de quelqu'un qui est dans le coma, qui n'a pas de conscience, qui n'a plus de conscience et donc je dirais que c'est peut-être ça, le terme l'inconscient. [MUSIQUE]