[MUSIQUE] Bonjour, [ÉTRANGER] Mounir Mouawad [ÉTRANGER] à Lyon, [ÉTRANGER] Beyrouth [ÉTRANGER] [ÉTRANGER] [ÉTRANGER]. Je m'appelle Mounir Mouawad, je suis né en 1975 à Beyrouth au Liban et je viens d'une famille de Libanais installés au Sénégal depuis plusieurs générations. >> Mais vous êtes né au Liban. Donc, est-ce que vous pourriez nous présenter votre jeunesse au Liban et puis nous parler peut-être un peu plus précisément de votre famille? >> Alors, je suis né en 1975, qui est exactement l'année du début de la guerre civile au Liban. Mon enfance c'est une enfance un peu spéciale mais ça, je ne le comprends qu'à l'âge adulte. J'ai vécu dix ans de guerre civile avec des yeux d'enfant, des yeux d'enfant qui voient les champs de bataille comme des champs de jeux, des immenses espaces ouverts où on peut un peu s'amuser sans qu'il y ait trop de règles qui viennent limiter ces temps d'enfance. J'ai vu aussi ce qu'on peut considérer aujourd'hui comme des catastrophes, les bombardements, les évacuations, comme les possibilités de ne plus aller à l'école, les possibilités d'échapper au quotidien, la routine, au regard des adultes. Cette enfance libanaise, elle a été un espace de développement différent, un espace d'insouciance à l'intérieur du drame que l'on ne voit pas. [MUSIQUE] >> Ces dix années passées à Beyrouth ne vous ont pas empêché d'aller à l'école et vos parents ont choisi pour vous un système particulier qui est le système d'éducation des Jésuites, donc un système privé et catholique. >> Privé, catholique et francophone. Ce qui était très, très important d'abord c'était d'appartenir à un système élitiste. Ma famille appartenait à une classe sociale élevée qui voulait absolument que leurs enfants bénéficient d'une éducation élitiste et donc, depuis le plus jeune âge, j'ai été mis dans un enseignement chrétien qui avait la réputation parce qu'il était bilingue francophone et arabe avec une très grande dominance du français sur l'arabe pendant l'enseignement, et aussi parce qu'il était sélectif, exigeant, et qui c'est maintenant c'est moi, ma vision de sociologue d'aujourd'hui me permet de voir qu'en fait il m'inscrivait à l'intérieur d'un certain milieu culturel qu'il voulait que j'intègre une fois adulte. >> Ce qui veut dire que dans votre tête, vous aviez un mélange de langues, l'arabe et le français, les deux circulaient tout à fait aisément? Est-ce que l'arabe était plutôt la langue de la maison et le français la langue de l'école? >> C'est exactement le contraire. Mais effectivement, les langues avaient des espaces bien définis. Le français était la langue de la maison, le français était la langue de l'école et l'arabe était, alors pas n'importe quel arabe, mais le dialecte libanais, était ce qui était réservé à tous les espaces publics et à tous les autres moments, où la langue avec les copains était le dialecte libanais. Donc, j'ai grandi avec l'idée que l'intime et l'éducatif étaient en français. Le français était la langue qui permettait à tout le monde de se comprendre à la maison et elle était aussi la langue qui devait moi me permettre de m'élever au niveau de ma classe sociale au Liban, puisqu'au Liban, on reconnaît également les classes sociales par rapport à leur au moins bilinguisme sinon leur trilinguisme, français, anglais, arabe. >> Vous entrez en sixième toujours chez les Jésuites mais vous n'êtes plus à Beyrouth. Cette fois-ci, vous êtes à Marseille. Pourquoi? >> Eh bien, parce que la guerre ayant pris le dessus sur les possibilités familiales, finalement ma famille prend la décision de quitter le Liban pour revenir s'installer là où mes parents s'étaient rencontrés, donc à Marseille et là où les parents de ma mère, mes grand-parents, avaient continué à investir. Ils possédaient un instrument de travail qui permettait à tout le monde de pouvoir s'investir dans une entreprise familiale. Donc, nous sommes arrivés à Marseille en 1984. À partir de là , je continue à suivre les cours dans un système jésuite mais cette fois-ci français, qui consiste encore à former une certaine élite, à avoir un enseignement extrêmement exigeant mais plus du tout bilingue, monolingue et avec des référents culturels qui n'ont absolument plus rien à voir. >> Comment est-ce que vous vivez cet enseignement? Est-ce que c'est quand même dans une forme de continuité? >> C'est une forme de continuité dans l'esprit mais plus du tout dans les matières. On a des sujets différents, on n'a plus l'arabe par exemple, on n'a plus l'histoire du Moyen-Orient comme sujet, mais il y a aussi une éducation qui est fondée sur les principes laïcs et républicains. Nous, nous sommes formés à devenir des jeunes républicains comme tout le monde je dirais en France. Et pour un jeune franco-libanais qui vient d'arriver pour la première fois en France, c'est un choc. Parce que même si le français était la langue de la famille, l'idéologie républicaine n'était pas une idéologie familiale. Donc, il a fallu que j'apprenne ce que ça voulait dire qu'être un citoyen français, que j'apprenne ce que ça voulait dire de ne pas parler par exemple de sa religion immédiatement quand on se présentait ou de ne pas avoir sa religion inscrite sur ses papiers d'identité, ce que ça voulait dire d'être dans une société qui était en immense majorité laïque avec un certain mépris pour tout ce qui pouvait être religieux alors que je venais d'une société où le religieux organisait la société civile. Donc, c'était quand même des cadres référentiels très différents même si, et ça je me rends compte que si j'étais arrivé à Paris au lieu d'arriver à Marseille, les choses auraient été très différentes. À Marseille, je gardais quand même la culture méditerranéenne, je gardais l'accès à la mer qui est la même mer, je gardais un accès à certains traits culturels qui sont communs. Il y a une manière d'être ensemble, il y a une manière de vivre en extérieur, il y a une manière d'organiser le chaos dans la rue qui me semblait extrêmement familier. Je me souviens que mon arrivée à Paris huit ans plus tard après mon Bac, ce sera un autre choc parce que ça c'est une France que vraiment j'ignorais. Alors que la première France que je découvre à Marseille est une France qui a quand même une dimension plus familière au niveau culturel. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Alors, justement vous arrivez à Paris pour entrer à Sciences Po. Vous avez eu votre Bac avec la mention Très bien, vous entrez à Sciences Po mais vous n'y restez pas plus longtemps puisque quelques mois plus tard, on vous retrouve à Londres. Que s'est-il passé? >> En fait, j'étais monté à Paris pour les mauvaises raisons, c'est-à -dire que j'avais arraché mon indépendance au prix de rentrer dans une institution qui n'existait pas à Marseille. C'était le contrat que ma mère m'avait demandé de respecter. J'étais donc rentré à Sciences Po Paris, mais le vrai motif c'était simplement d'échapper à l'emprise familiale pour pouvoir vivre ma vie de jeune adulte loin du milieu familial. Sciences Po ne m'intéressait absolument pas et je me suis retrouvé à Londres avec comme alibi d'améliorer mon apprentissage de l'anglais, mais comme réelle motivation de plutôt pénétrer dans la scène gay londonienne puisqu'à cet âge-là , je commence aussi à explorer mon identité homosexuelle. >> Vous décidez de rentrer à Paris et vous vous inscrivez [INCONNU] en arabe. Donc, vous passez votre licence. Vous faites même un Master à Damas. Pourquoi ce choix de l'arabe? >> Peut-être aussi pour de mauvaises raisons, peut-être aussi par provocation envers ma famille. Les Libanais ont toujours une relation très ambivalente à la langue arabe qui est extrêmement respectée mais qui en même temps n'est jamais considérée comme un sujet sérieux. Etudier l'arabe c'est un pis-aller, ça n'a pas la valeur d'une école de commerce ou d'une faculté de médecine ou d'une faculté de droit. Et puis, je me suis un peu retrouvée bloquée en fait parce que finalement à part devenir prof d'arabe, je n'avais pas d'autres portes qui m'étaient ouvertes une fois que mon Master était en poche. Et c'est à ce moment-là , une professeure a un peu éclairé ma lanterne en me faisant comprendre que les raisons qui m'avaient amené quasiment jusqu'à passer le CAPES étaient une mauvaise raison et que je devrais maintenant plutôt essayer de savoir qu'est-ce que je voulais faire professionnellement. Et à ce moment-là , je me suis formée au français langue étrangère qui était accessible avec une maîtrise de langue étrangère et j'ai commencé à enseigner le français aux étrangers. >> Qu'est-ce que ces années d'enseignement vous ont appris justement sur le fait d'être avec des personnes qui n'aient pas la même nationalité que la votre et le fait que vous ayiez à enseigner cette langue française? >> Tout d'un coup, toute cette vie un peu chaotique de déménagement, d'hésitations entre des matières universitaires, toute cette chose qui me paraissait informe tout d'un coup a commencé à prendre forme parce que j'ai utilisé mon expérience personnelle à l'intérieur de mon enseignement et de ma relation aux élèves. Vous savez, en arabe, on dit [ÉTRANGER], c'est-à -dire tout est écrit, tout est prédéterminé. Et parfois, on doute de cette chose-là en se disant qu'il n'y a qu'un grand désordre qui a servi à à organiser sa vie passée. Et là , tout prenait forme puisque j'étais capable d'utiliser toute mon expérience et tout mon vécu dans la construction de mon rapport à mes nouveaux étudiants. >> Est-ce que vous auriez des exemples justement de ce vécu qui vous a aidé, peut-être a aidé des étudiants? >> Une chose assez simple c'est de voir des malaises, des nostalgies qui pouvaient apparaître chez des étudiants qui étaient à Paris depuis peu de temps, qui venaient de pays par exemple d'Amérique du Sud, de pays où la vie familiale, la vie en extérieur, la vie en groupe était peut-être plus prévenante qu'elle l'était au quotidien à Paris. Et de partager avec eux comment est-ce que moi j'avais vécu d'abord mon passage du Liban vers la France, puis mon passage de Marseille vers Paris, de leur expliquer comment ça n'a pas été simple et ça a été parfois douloureux aussi de vivre plus en intérieur, de réduire mon champ familial à des personnes privilégiées, d'échapper à la pression familiale pour leur imposer mes choix, pour des gens qui sont en position j'allais dire diasporique, c'est-à -dire que ce sont des gens qui sont en déplacement, qui sont à l'extérieur de chez eux. C'est aussi très important de leur faire comprendre que leur souffrance est naturelle, elle est attendue, que les échecs sont des situations qui ont été partagées par d'autres, et qu'elles ne sont pas irréductibles, qu'elles ne sont pas définitives, que des échecs peuvent sortir des enseignements que l'on peut utiliser. Et d'avoir quelqu'un qui a vécu la même expérience, qui s'est retrouvé dans la même situation crédibilise sa parole par rapport à quelqu'un d'autre qui pourrait vous dire la même chose mais qui ne vient pas du même parcours. >> Un jour, un grand changement. Il y a un coup de foudre qui vous mène aux États-Unis. Donc, vous tombez amoureux d'un américain de San Francisco. Vous décidez de le suivre et de reprendre vos études et peut-être que là pour la première fois, les études de cinéma apparaissent dans votre vie. Donc, nous sommes en janvier 2008, une nouvelle discipline et une nouvelle langue d'enseignement, l'anglais. >> Oui, là aussi j'avais l'impression au départ que je cherchais juste à avoir une bonne raison de demander un visa pour continuer à vivre cette relation amoureuse et que devenir étudiant était une bonne solution, mais en réalité, je faisais advenir un vieux rêve qui était de me consacrer au cinéma soit par la production et la réalisation, soit par le biais de l'analyse et c'est ce biais-là que je vais pouvoir arriver à vivre. Et effectivement, je rentre dans un programme partagé entre l'université San Francisco State University et UC Berkeley. Donc, ces deux universités qui sont dans la baie de San Francisco et qui avaient donc un joint program dans lequel je vais rentrer, je vais commencer donc mon Master de Film studies, donc d'études cinématographiques. Là , le choc va être de me confronter à un anglais qu'on dit académique mais qu'on utilise de plus en plus en français, c'est-à -dire en réalité universitaire. Donc, de sentir les limites de mon apprentissage beaucoup plus pragmatique de l'anglais que j'avais jusqu'à présent. Là , le faire passer à un niveau universitaire ça demandait une exigence nouvelle. C'est également de me consacrer à un autre système éducatif et universitaire. Et là , je vais découvrir qu'en réalité, l'éducation est le produit d'une idéologie, que cette idéologie prend des racines dans une histoire nationale et qu'évidemment, être éduqué à l'américaine ça n'est pas être éduqué à la française. C'est vraiment une découverte et un choc pour moi quand je rentre à l'université américaine. >> Est-ce que dans la relation professeur, dans la relation aux autres étudiants, il y a des choses qui sont particulièrement différentes? >> De ne pas se juger négativement. Nous sommes en France dans un système éducatif qui garde une culture de l'échec et une culture de la brimade, une culture du manque par rapport à une culture de l'acquis. On vous encourage à vous améliorer en vous montrant ce que vous ne savez toujours pas faire ou ce que vous ne connaissez toujours pas. Alors qu'aux États-Unis, on vous encourage à vous améliorer en vous montrant ce que vous avez acquis. À partir de là , sortir de ce complexe dans lequel je me souvenais enfant souvent dans mes bulletins de collège ou de lycée, il était écrit Peut mieux faire. J'avais toujours l'impression que Mounir = Peut mieux faire. Et donc, je n'étais jamais satisfait de ce que je faisais, et j'étais toujours extrêmement surpris des félicitations de mes professeurs américains à qui je ne donnais aucun crédit puisque Félicitation voulait dire manque de perspicacité à mon égard. Et ça m'a pris beaucoup de temps à me rendre compte que l'éducation positive était une éducation qui valait le coup et qui était une éducation qui pouvait non seulement aider, mais créer une force de volonté, une assurance de soi qui pouvait véritablement servir les individus. [MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Mounir, qu'est-ce qui vous a le plus manqué quand vous étiez aux États-Unis? >> Je me souviens que l'humour français me manquait énormément et la liberté d'esprit française me manquait énormément, cette liberté d'esprit qui tourne souvent au débat permanent peut-être un peu infructueux mais qui pour moi était le signe d'une liberté de pensée qui m'a énormément manqué quand j'étais dans les terres du politically correct. Et je me souviens de bouffées d'oxygène quand je retrouvais mes amis et que je pouvais rire de tout avec eux, alors qu'en Californie je faisais toujours très attention des sujets sur lesquels on pouvait discuter parce que je savais qu'il y avait des rires tabous. Il y avait des sujets sur lesquels le comique pouvait me faire exclure du groupe. Et ça, cette liberté de rire ou peut-être cette facilité que j'avais de partager les codes du comique avec mes compatriotes, c'est quelque chose qui m'a énormément manqué et je pense que ça me manquerait encore si je ne pouvais plus vivre en France. >> Et justement, la France, vous y revenez en 2010. Et si on devait garder deux lignes conductrices, on retrouve le cinéma puisque vous passez même une thèse de cinéma que vous obtenez en 2016, et toujours ce dialogue avec le système américain. >> Oui, j'ai fini ma thèse de doctorat en études cinématographiques à Paris III, et en même temps, j'ai pris des fonctions comme Directeur de deux antennes universitaires en France, l'antenne des universités de l'Illinois et l'antenne des universités de la Caroline du Nord, qui envoient une centaine d'étudiants à Paris chaque année et donc, encore une fois, tout semble se remettre en ordre. Ce parcours un peu chaotique entre plusieurs pays, plusieurs langues, a fait que je suis maintenant en position de pouvoir accueillir des étudiants américains qui sont en miroir avec ma propre expérience universitaire puisque eux viennent étudier dans un système français dont ils ne connaissent rien, et je m'assure qu'on puisse leur expliquer les principes idéologiques et historiques de l'éducation à la française et de l'éducation universitaire à la française mais aussi qu'on puisse leur expliquer tout le contexte culturel dans lequel ils vont vivre, puisque ce sont des étudiants qui viennent passer entre quatre et huit mois en France et qui donc au quotidien vont être immergés dans une culture qu'ils apprennent à connaître. >> Aujourd'hui, Mounir, on peut dire que vous parlez cinq langues. Il y a donc l'arabe, le français, l'anglais, le wolof et l'espagnol qu'on n'a pas abordé aussi, je crois le catalan très précisément. Quelle place ont ces langues dans votre esprit? Est-ce que tout ceci se marie bien ou est-ce que chaque langue a une fonction précise? >> La fonction des langues a évolué ou la place des langues a évolué avec ma vie. Il y a eu des langues maternelles, il y a eu des langues d'enseignement, il y a eu des langues de travail, et selon les périodes de ma vie elles ont changé de place. Aujourd'hui, je travaille en français et en anglais, je fais mes recherches en français mais beaucoup plus en anglais, j'écris mes articles dans les deux langues, donc ces deux langues sont les langues universitaires, de travail et de cadre professionnel. L'arabe disparaît de plus en plus, je ne lis plus, je ne le parle presque plus puisqu'avec le temps passant, ma famille disparaît. L'espagnol reste une langue que je chéris énormément parce que ça a été une langue que j'ai choisie. Les années que j'ai passées à Barcelone sont des années dans lesquelles j'ai fait énormément de choix personnels, je me suis beaucoup développé. Et puis, le wolof est une sorte de langue de paradis perdu, une langue que j'aime apprendre peut-être encore parce que je la comprends mal et qu'elle reste mystérieuse. Les autres langues sont trop familières pour garder cette aura. [MUSIQUE] >> Merci Mounir pour cet entretien. Nous passons maintenant au questionnaire final. À quelle couleur associez-vous la France? >> Je crois que je l'associe au bleu. Il y a le bleu du drapeau, il y a le bleu du roi, il y a le bleu de la Méditerranée, qui pour moi est la mer française par excellence à cause de mon vécu, ce bleu de la liberté. >> À quelle odeur? >> Ce ne sera pas l'odeur de la France, mais ce sera l'odeur de Marseille. Marseille sent le sel de la Méditerranée. >> À quelle saveur? >> Le vin rouge. Le bon vin rouge, celui dont on est surpris par son poids et son manteau quand il touche la langue. Pour moi, le goût de la France c'est ça. >> Quel est votre paysage préféré? >> Le paysage des Alpes ou le paysage des hautes ou moyennes montagnes. Je suis toujours émerveillé par le choc émotionnel que peut me provoquer une arrivée dans les Alpes françaises. Les montagnes me touchent énormément. >> Votre son préféré? >> Le son des cloches. Mais j'ai l'impression que le son des cloches en France a une tonalité particulière. Je me revois en train de me réveiller le matin à la campagne avec le plaisir d'entendre des sons de cloches françaises. >> Quelle est votre sensation préférée? >> La température de l'air dans la maison où je suis invitée chaque été qui est située à Bédarieux dans l'Hérault et où avec les amis qui m'invitent, nous avons la tradition de nous retrouver à 20h chaque soir sur la même terrasse pour prendre l'apéritif en regardant le paysage. Et j'ai l'impression qu'il y a à cette heure-là une température qui est presque toujours la même et qui donne à ma peau une sensation qui est pour moi la sensation du bonheur de l'été. >> Quel serait votre mot préféré à prononcer ou à utiliser? >> C'est le mot langue, parce que je trouve qu'il y a dans langue une difficulté propre à notre langue qui est cette nasale suivie par je ne sais pas comment est-ce que les linguistes ou les phonéticiens diraient que le gue se fait, mais je trouve que c'est assez difficile pour les étrangers de prononcer ce mot-là et c'est en même temps un mot qui suggère énormément son référent. Je trouve que dans langue, il y a quelque chose qui justement fait beaucoup travailler. Cet organe-là , on l'entend, on l'entend claquer, j'aime bien ce mariage entre le son et le référent dans langue. >> Quel est votre mot détesté? >> Aberration. Parce que je le trouve lourd, et il a souvent été utilisé pour décrire des identités sexuelles qui me correspondent. On a souvent dit que l'homosexualité est une aberration. >> Quel serait le mot en arabe qui manque à la langue française? >> Ce n'est pas un mot, c'est une expression, et c'est [ÉTRANGER]. [ÉTRANGER] veut dire exactement j'espère que tu me porteras au tombeau. Et c'est un mot très gentil que ma grand-mère me disait chaque fois qu'elle voulait exprimer sa fierté d'être ma grand-mère, elle me disait [ÉTRANGER], c'est-à -dire j'espère que tu m'enterreras. Je la trouve très plaisante d'abord pour l'humour noir qui peut y être attaché et aussi parce qu'il y a cette attaque vocalique que nous avons au Liban, dans lequel la lettre [INCONNU] de l'arabe est remplacée par le e, et donc on dit [ÉTRANGER]. Et j'aime bien ce son-là . >> Quel serait le mot qui existe en français et que vous n'avez pas dans le dialecte libanais. >> Quand j'ai fait mon coming out à ma maman, elle a évidemment fondu en larmes et une des premières choses qu'elle m'a dit c'est, mais je ne sais même pas comment on peut dire ça en arabe. Et effectivement, il est très difficile de trouver un mot qui ne soit pas péjoratif surtout à l'âge que ma mère avait. Aujourd'hui, les activistes ont pu introduire des mots comme [ÉTRANGER] qui veut dire homosexuel presqu'en traduction littérale, mais ce mot-là n'existait pas à l'époque, mais heureusement les activistes ont bien bossé là -dessus. [MUSIQUE]