[MUSIQUE] [MUSIQUE] [ÉTRANGER] [ÉTRANGER] [ÉTRANGER] [ÉTRANGER] [ÉTRANGER] Je m'appelle Osama Abdelmoghni, je suis né au Caire en 1980. Je suis parti à l'âge de trois ans avec mes parents vivre en Libye à Tripoli, j'y suis resté une douzaine d'années puis je suis retourné au Caire avec mes parents y vivre pendant dix années. Et je vis maintenant à Paris en France depuis 2009. Et chaque endroit où j'ai vécu a forgé une partie de ma personnalité. >> On pourrait peut-être commencer, Osama, avec une présentation de vos parents, parce que vos parents ne sont pas tous les deux égyptiens. >> Mon papa est égyptien, ma mère est iraqienne. Mon papa est d'origine musulmane, ma mère est d'origine chaldéenne, donc catholique. Ils se sont connus en Iraq quand ils travaillaient là -bas dans les années 70. Ils ont fait la guerre pour se marier, contre la volonté de deux familles et ils vivent toujours ensemble au Caire. Donc, j'ai envie de dire, leur amour a vaincu. >> Quand vous avez trois ans, vos parents partent en Libye, et vous allez aller à l'école en Libye dans un système scolaire qui n'est pas un système scolaire libyen ni égyptien. Donc, quel est le choix qu'ont fait vos parents? >> À l'époque, l'ex-Président décédé maintenant, Kadhafi, a décrété qu'il ne voulait pas que les libyens apprennent des langues étrangères. Et donc, il a permis la création de trois écoles, une école américaine, une école britannique et une école française où les filles et fils des expatriés et des diplomates, et ceux qui travaillaient en Libye mais qui n'étaient pas des citoyens libyens ou bien c'était des citoyens libyens et avaient un autre passeport en même temps, eux, ces gens-là pouvaient envoyer leurs enfants à ces écoles. Donc, c'est là par chance où nous sommes allés à l'école américaine seulement parce que mes parents ont trouvé qu'apprendre les langues étrangères était essentiel. Et je suis très, très content et reconnaissant. >> Qu'est-ce que ce système avait de particulier par rapport au système égyptien où vous auriez pu aller si votre père n'avait pas trouvé du travail en Libye? >> Les professeurs. Eux, c'était des gens qui sont partis en Libye vraiment pas pour l'argent. Ils y croyaient qu'ils devaient offrir une meilleure éducation à leurs compatriotes qui s'expatriaient là -bas. Je me souviens très bien que chaque prof que j'avais dans cette école était tellement dédié, présent que ce que j'ai appris à cette école-là était un vrai apprentissage, c'était au-delà de ce qui se trouvait dans les livres. Tous les cours se faisaient en anglais sauf un cours en arabe. >> Ce qui veut dire que très vite vous êtes devenu bilingue arabe anglais. Les deux langues circulaient facilement comme ça dans votre tête? >> Dès l'âge de six ans en effet, moi et ma fratrie on parlait deux langues au moins. Et je dis au moins parce qu'on parle deux langues, mais on parle plusieurs dialectes. Parce que ma mère quand elle recevait des membres de famille, elle leur parlait en iraqien et aussi en [INCONNU]. Nos oreilles étaient habituées à entendre plusieurs langues et plusieurs dialectes dès l'enfance. [MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Et est-ce que vous associez à cette époque-là ou peut-être avec le recul une langue à une situation ou est-ce que chaque langue avait une place un petit peu spéciale ou tout ceci circulait assez fluidement? >> Dans ma tête, la langue [INCONNU] était toujours une langue exotique, que je n'arrivais pas à parler, que je ne comprenais qu'à peine. Notre mère nous expliquait mais elle ne parlait pas [INCONNU]. Le dialecte égyptien pour moi a toujours été le dialecte le plus facile parce que je parlais aussi libyen, un peu tunisien, l'irakien très bien, mais c'est vrai que le dialecte égyptien était le plus facile et pour moi la langue anglaise a toujours été la langue d'apprentissage. J'ai toujours appris en anglais, étudié en anglais, faire les maths en anglais, et jusqu'à aujourd'hui d'ailleurs. Même en étant francophone, ma langue de travail est toujours la langue anglaise. >> Qu'est-ce qui fait que vous quittez la Libye pour retourner en Egypte? >> Nous les enfants. Mon papa a trouvé qu'en 1996, la Libye n'était plus le pays qui pouvait offrir à ses enfants la meilleure qualité de vie. Il voulait tout d'abord nous envoyer à Malte, mais il a eu peur qu'on perdre notre identité complètement. Donc, il a dit, bon vous revenez avec nous au Caire et vous tracez vos chemins de là -bas. Et en effet c'est ce qui s'est passé, maintenant les quatre enfants ne sont plus au Caire. >> Vous revenez au Caire et vous continuez vos études au lycée et pour le coup, au lycée ou l'équivalent du lycée égyptien. >> En effet, que j'ai détesté. J'ai trouvé que le niveau d'éducation en Egypte hélas j'ose dire, n'était pas au top. >> Vous passez l'équivalent du baccalauréat. Se pose après la question des études supérieures. Là , vous n'êtes pas convaincu par l'université égyptienne. >> Non. Je fais une année de l'équivalent de l'école Polytechnique, donc c'est l'ingénierie pure. Je reste une année, je réussis l'année et je décide de ne pas continuer. Et c'est là où commence la partie de mon identité je dirais jusqu'à maintenant la plus importante, c'est le travail, c'est la profession, la programmation, la technologie, c'est jusqu'à aujourd'hui ce qui forme une partie très importante de moi et ce qui forme ma zone de confort, dans laquelle je suis le plus à l'aise, les ordinateurs, travailler avec les machines. >> Alors, qu'est-ce qui fait qu'un jour vous vous intéressez à la langue française et à la France? Parce que pour le moment, on est loin de cet univers. >> J'ai un mot pour répondre à ça, Nagui. C'est grâce à Nagui Chehata, Professeur de français à Heliopolis. Nagui, j'étais assis dans le Marriott avec un ami un jour et je vois de loin arriver un homme qui brillait, qui avait les yeux pétillants, qui par hasard connaissait la personne avec qui je prenais le thé. Il s'assoit avec nous, il parle du théâtre d'où il vient de sortir et il parle de la langue française parce qu'il est prof de langue française. Et je lui dis, tu sais, je m'intéresse toujours à apprendre la langue française. Et il me dit, ben viens, j'enseigne au Centre culturel français qui s'appelle maintenant l'Institut français à Mounira à Heliopolis au Caire. Viens et je t'apprends le français. Et c'est grâce à Nagui que je me suis permis d'apprendre une langue que j'ai toujours voulu parler et c'est grâce à Nagui aussi que je découvre à quel point j'aime apprendre les langues, parce que c'était que le début. >> Pourquoi aviez-vous cet intérêt pour la langue française? Qu'est-ce que ça représentait pour vous à l'époque? >> J'ai toujours été une personne sentimentale. Et pour moi, la langue française s'exportait dans le monde, et comme on y pense souvent, c'est la langue d'amour. Et d'ailleurs à l'école quand j'étais jeune, j'avais une camarade de classe Myriam qui était française, qui était très peu abordable. Je voulais toujours parler à cette fille, jouer avec elle, elle ne voulait pas. Donc, dans ma tête, la langue française aussi était associée à des choses inabordables. Ce n'était pas facile à parler, ce n'était pas facile à comprendre. C'est la langue de l'art, donc je m'y intéressais. J'ai toujours voulu le parler, j'ai toujours voulu bien prononcer. Je trouve que prononcer le français c'est un art en soi, faire la différence entre le é et le l, le o et u, c'est quand même pas évident. >> Et en termes d'images, quand vous pensiez à la France, quelles images vous venaient à l'esprit? >> Maintenant quand je pense à la France, je pense à chez moi. Vraiment. Avant quand je pensais à la France, je pensais aux montagnes. Peut-être parce que la première région que j'ai découverte en France c'était le PACA, donc je faisais mes vacances en Alpes maritimes, j'étais [INCONNU], c'était vert, c'était montagneux, c'était très, très beau. >> Et avant même d'arriver en France, l'image que vous en aviez? >> C'était la langue française, les mots. C'est pour ça que je garde peut-être toujours un amour pour les mots, c'est pour ça que les jeux de mots qui paraissent parfois ridicules à beaucoup de Français m'amusent encore. J'adore lire les contrepèteries. La poésie classique en alexandrins qui parfois paraît un peu gnangnan, qui paraît parfois prétentieuse, moi j'aime beaucoup. Jusqu'à aujourd'hui, je lis des choses classiques, des œuvres qui m'amusent. [MUSIQUE] [MUSIQUE] Un des premiers livres que j'ai lus en français c'était Proust. Quand je parlais aux amis, ils m'ont toujours dit, Proust, personne n'a lu mais tout le monde sait que c'est un bon livre. Donc, j'étais vraiment attiré et j'ai lu Proust, tous les tomes. Alors qu'aujourd'hui, je ne pourrais pas refaire ça. Mais c'est vrai que j'ai aimé. Et quand je parle à mes amis des tournures de phrases qui se trouvent dans ce livre, des histoires de cour de XIXe siècle, encore un autre livre, Les liaisons dangereuses, c'est vraiment des œuvres classiques. Quand j'en parle, les gens ne s'intéressent pas tant que ça. Ils me disent toujours, oui nous on s'intéresse à des œuvres un peu plus contemporaines, je pourrais citer Petit pays de Gaël Faye dont tous mes amis ont parlé récemment que je trouve est une très bonne histoire mais pas aussi bien écrite que les deux autres que je viens de citer. Quand je lis le français aujourd'hui, il y a toujours l'art du style, il y a toujours Il y a toujours les tournures de phrases, il y a toujours les métaphores, il y a toujours le subjonctif, quelque chose que j'aime, il y a toujours les choses que l'on ne dit pas mais qu'on lit, comme le subjonctif d'imparfait, comme le passé simple. C'est joli. Peut-être que parce qu'on n'en parle pas, c'est comme si c'est un trésor caché que l'on découvre tout seul quand on lit. J'aime ça. >> Qu'est-ce qui fait qu'un jour vous décidez d'aller en France? >> L'amour. Je suis tombé amoureux de quelqu'un et c'est justement par le biais de cette personne que je commence à découvrir la Côte d'Azur d'abord, et puis deux ans plus tard quand je décide de venir m'installer définitivement en France, je découvre Paris et j'aime Paris, et je reste à Paris. À Paris, ce que j'aime, c'est une capitale. On trouve tout. En même temps c'est un [INCONNU], c'est très, très petit. Paris ne fait que dix kilomètres de diamètre. J'aime traverser Paris à pied, je me sens dans un village, c'est ridicule de dire ça, mais pour quelqu'un qui a vécu dix ans au Caire, Paris reste un village. En même temps, c'est une des plus grosses capitales du monde. On trouve tout, on ne se sent pas isolé, on se sent parfois même un peu le centre du monde. Donc, je me suis senti très vite chez moi, entouré par des amis, des connaissances. Et même dans le monde professionnel, ces mêmes amis m'ont présenté des gens qui avaient besoin de travail. J'ai pu continuer à exercer mon métier d'informatique ici sans aucun problème. Je n'ai vraiment jamais connu ni de racisme, ni de discrimination en France. Je sais que ça existe comme partout dans le monde, moi j'ai pas expérimenté ça. J'ai appris qu'en France, on dit toujours bonjour, on dit toujours au revoir quand on sort d'un magasin. Et très vite fait, je m'y suis retrouvé. Je me suis dit, j'aime bien cette culture. Le comportement des gens dans la rue me plaît. >> Une fois arrivé en France, est-ce que vous avez eu le désir de reprendre vos études? >> Oui, ne serait-ce que pour avoir ce certificat, ce fameux certificat pour que maman soit heureuse. Et donc, par le biais d'un ami aussi, on m'a parlé d'un programme de MBA à l'école des Ponts et je l'ai suivi il y a à peu près cinq ans et je l'ai eu. >> Donc, un MBA en quoi? >> En business simplement. Donc, c'était un MBA générique. >> L'enseignement y était en français? >> Non, c'était en anglais. [RIRES] Et je dois dire que ça reste quand même plus simple pour moi d'apprendre en anglais jusqu'à aujourd'hui. >> Mais par ailleurs, vous avez aussi été enseignant. Vous avez enseigné l'anglais à l'ESCP, anciennement l'Ecole supérieure de commerce de Paris. Là dans le comportement des étudiants que vous pouviez croiser, est-ce qu'il y avait des choses qui relevaient vraiment de, qui étaient typiquement françaises ou qui étaient différentes par rapport aux enseignements que vous aviez pu avoir auparavant? >> Oui, absolument. Comme je parlais avec un très bon ami, le Français a toujours peur du ridicule. Ça se voyait beaucoup, ça se voyait typiquement au début de classe. Quand je dis au début de classe, au début du semestre. Donc, les étudiants commençaient par être silencieux, ne pas vouloir soulever la main, ne pas vouloir répondre et plus je faisais l'autodérision, plus je montrais aux étudiants, aux élèves, que je n'avais pas peur d'être ridicule moi-même, que je n'étais pas Dieu, que je pouvais faire des fautes, qu'ils n'avaient rien à perdre à me répondre et à participer, au bout de troisième ou quatrième classe maximum, ils se détendaient et ils commençaient à s'amuser en classe. >> Donc, c'est intéressant tout de même cette notion d'avoir peur du ridicule. Est-ce que c'est quelque chose qui pour vous est associé à ce pays, peur de se tromper, peur de ne pas être à la hauteur? >> Oui. Moi je pense que le Français typique est très exigeant et je pense qu'il est très exigeant vis-à -vis de lui-même avant les autres. Donc, l'image de la personne face aux autres est très importante, oui. >> Ça fait donc dix ans que vous êtes en France. En quoi cette expérience, cette vie dans ce pays vous a transformé par rapport à la personne que vous étiez en Egypte il y a exactement dix ans? >> Je pense qu'aujourd'hui, je réfléchis moins à l'efficacité et plus aux joies de vivre même dans le monde professionnel. Je donne beaucoup plus d'importance à voyager, bien manger, voir les amis, bien vivre. Je pense qu'il y a un savoir vivre en France qui est unique, qui m'a été transmis. >> Aujourd'hui, Osama, vous avez toujours la nationalité égyptienne bien sûr, mais vous avez aussi la nationalité française. Pourquoi est-ce que c'était important pour vous d'avoir ces deux passeports? >> Parce que je me sens aussi français qu'égyptien. Je vis ici, ça veut dire que je voudrais quand même voter ici. Je fais partie de la société française, ce qui affecte la population française m'affecte aussi. >> Est-ce que vous imaginez, Osama, toute votre vie en France, vieillir en France par exemple? >> C'est sûr que j'imagine toute ma vie en Europe. Vivre en Paris et une autre ville est ce que je pense sera mon avenir. En tout cas, je n'envisage pas de quitter Paris pour le moment, peut-être que je ne quitterai jamais Paris. >> Et revenir au Caire? >> Non. Le Caire pour moi était un passage qui restera dans le passé. Je vais toujours retourner au Caire rendre visite à des amis, visiter des sites, mais je ne pense vraiment jamais revivre au Caire. >> Pourquoi? >> La verdure, la pollution, se balader en ville tranquillement, sans qu'il y ait des klaxons de voitures, dire bonjour quand on croise les gens même quand on ne les connaît pas, peut-être aussi la liberté d'expression, la liberté d'esprit, de penser comme on veut, de ne pas être jugé pour qui est on est. >> Merci Osama pour cet entretien, et place maintenant à notre petit questionnaire final. À quelle couleur associez-vous la France? >> Bleu. C'est la partie du drapeau qui me plait, je pense. Je préfère le bleu que le rouge. >> À quelle odeur associez-vous la France? >> Lavande. C'est la première chose que j'ai connue dans les champs français, la lavande. >> À quelle saveur? >> Le confit de canard. C'est vraiment le plat que j'ai préféré en hiver en France. Je pense que c'est cette combinaison du gras du canard avec les pommes de terre, c'est délicieux. >> Quel est votre paysage français préféré? >> Les montagnes, les Alpes maritimes. >> Quel est votre son préféré? >> L'océan. Ça me manquait, ça, au Caire. Ça c'est sûr. >> Quelle est votre sensation préférée ici? >> L'amour. Ça va de soi. >> Concernant la langue française, quel est votre mot préféré à prononcer et à utiliser? >> Subjonctif. [RIRES] Ça fait toujours toute une conversation autour d'une table. >> Et le mot préféré à prononcer? Est-ce qu'il y a un mot? >> Oui, Peut-être le mot oiseau. C'est très exotique dans ma tête. L'oiseau, les oiseaux, c'est... Aussi le mot œil et les yeux. C'est peut-être la différence entre singulier et pluriel qui change presque radicalement la prononciation du mot. C'est très amusant. >> Quel est le mot de votre langue maternelle qui manque à la langue française? >> [ÉTRANGER] Et ça décrit un état de joie un peu mélancolique lorsqu'on écoute certains notes de musique, surtout les quarts de tons en musique arabe. >> Quel serait votre mot préféré qui existe en français et que vous n'avez pas dans votre langue maternelle? >> Framboise, ça n'existe pas en arabe. C'est vrai. [MUSIQUE] [MUSIQUE]