[MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour à tous. Je suis ravie aujourd'hui d'accueillir le professeur Chiolero, qui va nous parler de la surveillance dans le cadre de la COVID-19. Comme vous le savez, nous vivons un moment assez exceptionnel dans ce cadre de pandémie de 2020. Nous sommes l'été 2020 et la pandémie de COVID-19 sévit assez sévèrement dans l'ensemble du monde. Aujourd'hui, la surveillance est un point clé dans la stratégie pour combattre la pandémie. Nous sommes ravis d'accueillir le professeur Chiolero. Bonjour Arnaud. Comment allez-vous? >> Bonjour Awa. Merci, bien, et vous-même? >> Très bien. Je vous remercie. Je suis ravie de vous avoir aujourd'hui. On va discuter ensemble de certains points relatifs à la surveillance dans le cadre de la COVID-19. Je me permets de rappeler que vous êtes médecin, professeur santé publique à l'université de Fribourg, et également épidémiologiste dans votre pratique de tous les jours dans le Valais. Et je dois aussi ajouter que vous êtes aussi professeur à l'université McGill au Canada et à Berne. Je n'ai rien oublié, j'espère, Arnaud? >> Non, c'est très bien. Merci beaucoup. >> OK, parfait. La première question, on est dans le vif du sujet, dites-moi un petit peu quelles sont les caractéristiques de la surveillance sanitaire contemporaine? >> Je crois que quand on parle de surveillance, le mot nous intrigue un peu par rapport à ça. Et je pense qu'il faut vraiment faire attention, parce que ce qu'on entend par surveillance sanitaire, c'est la collection, l'interprétation et la dissémination de données et d'informations sanitaires aux décideurs en santé publique ou bien à la population. L'une des spécificités de la surveillance, c'est qu'on cherche à ce que cette information soit collectée de manière systématique et continue. Ça se distingue notamment de la recherche en épidémiologie ou en santé publique, où des fois on se contente de faire une étude à un moment donné. La surveillance, c'est vraiment l'activité un peu en continu de collecter de l'information. Au début, vous nous avez introduit un peu le contexte. On est dans une phase spéciale avec la pandémie de COVID. Justement, les données de surveillance nous ont permis de mettre en avant la première vague, et actuellement, les données de surveillance nous permettent de se poser la question : qu'est-ce qu'on est en train de passer, est-ce qu'on entre dans une deuxième vague? >> D'accord. Je vous remercie Arnaud. Pouvez-vous décrire le processus de surveillance qui peut être mis en place dans le cadre de la lutte contre la COVID-19 aujourd'hui? >> Le point qui est important c'est qu'il nous faut des données, qu'on puisse les interpréter, puis les donner aux décideurs. Dans le cadre du COVID, il faut se poser la question de qu'est-ce qu'on a besoin comme données. Il n'y a pas de réponse simple. Ce qu'on peut essayer de se dire, c'est qu'il nous faut un set de données minimales qui nous donnent des informations de base sur le COVID. Moi, j'en identifie en tout cas quatre, de données qu'il faut avoir : ce sont les données sur les tests, est-ce qu'on fait ou non beaucoup de tests ; des données sur le nombre de cas, positifs j'entends par là, ça veut dire des cas de COVID plus ou moins symptomatiques ; des données sur les hospitalisations ; et des données sur la mortalité. Et une surveillance du COVID passe par des informations sur ces quatre éléments. Ça, c'est l'élément données. Après, pour faire de la surveillance, comme je l'ai dit tout à l'heure, il faut qu'on produise de l'information. Il faut faire des indicateurs à partir de ça. À partir de ces données qu'on a identifiées auparavant, la surveillance du COVID va nécessiter qu'on les transforme en un nombre de cas par jour. Vous avez vu actuellement qu'on s'intéresse beaucoup au nombre de cas par jour. Vous pouvez voir actuellement, si je prends l'exemple de la Suisse, que l'OFSP maintenant depuis plusieurs semaines ou plusieurs mois nous offre chaque jour le nombre de cas par jour, le nombre de cas qui sont hospitalisés chaque jour et le nombre de décès qui sont attribués au COVID. Ça, c'est un des éléments qui permettent de comprendre un petit peu mieux et de faire la surveillance du COVID. Un autre élément aussi qui est important pour la surveillance du COVID, c'est tous les éléments dits de prédiction, est-ce qu'on arrive un petit peu à prédire ce que va devenir l'épidémie ou la pandémie de COVID. C'est un sport qui est extrêmement compliqué, qui n'est pas simple. À Genève, vous avez la chance d'avoir l'expertise du professeur Flahault et de son équipe, qui fait des prédictions sur quelques jours et qui permet d'aider les décideurs à prendre des décisions qui sont raisonnables et aussi d'anticiper ce qui pourrait se passer. Les prédictions nous ont fait des drôles de jours parce que beaucoup de gens ont essayé de faire des prédictions à très long terme, sur un ou deux mois, et des fois, ça nous a apporté de la confusion. Pour la surveillance, on a, comme j'ai dit, les données, cette information. Puis, le dernier point qui est extrêmement important quand un fait un système de surveillance de manière générale, puis du COVID en particulier, c'est tout ce qui concerne comment on dissémine l'information, quel média on va utiliser pour la disséminer, à partir d'où est-ce qu'on parle, et aussi à qui est-ce qu'on s'adresse. Ça va être extrêmement important de rendre une information la plus claire en fonction du public cible auquel on donne cette information. Un public très spécialisé de techniciens pourra absorber des données extrêmement compliquées, techniques. Un monde de politiciens qui veulent peut-être des informations plus simples, qui doivent prendre des décisions, aura besoin d'informations un peu plus simples et il faudra vraiment faire attention avec ça. J'insiste beaucoup sur cette partie-là parce que souvent, on a l'impression que la surveillance, il suffit d'avoir des données, de les interpréter, et puis l'affaire est réglée. Pas du tout. Il faut vraiment absolument penser à comment on dissémine. Et puis, je pense que c'est un des problèmes qu'on a actuellement, d'ailleurs. On pourra revenir sur les problèmes qu'on a avec la surveillance du COVID, c'est notamment autour de la dissémination, comment on dissémine cette information. >> D'accord. C'est très clair. En dehors de la dissémination, quels sont les autres problèmes auxquels on fait face? >> Si on prend étape par étape, c'est la question de est-ce que nos données sont complètes ou pas. Ça, c'est un enjeu qui est extrêmement important, est-ce qu'on a suffisamment d'informations. Il y a une sorte de paradoxe, parce qu'en même temps on a beaucoup d'informations, on a l'impression qu'on est vraiment submergés d'informations, les données aussi liées à l'évolution des technologies de l'information où il y a de plus en plus de données qui sont de plus en plus accessibles. On peut les déposer sur les sites internet. Vous avez vu qu'il y a beaucoup de données qui sont libre accès, que tout un chacun peut analyser. D'ailleurs, on a vu que non seulement on a eu une épidémie de COVID, mais on a eu aussi une épidémie d'épidémiologistes en herbe. C'est assez intriguant mais on l'a vu. Je me suis rendu compte que j'avais plein de collègues à travers la Suisse et dans le monde qui faisaient des choses qui ressemblaient un petit peu à ce que je faisais. Puis, en même temps, je me disais, ce n'est quand même pas tout à fait la même chose en rapport avec ça. Donc, on sent qu'on a cet accès aux données. D'un côté, on a accès à ces données, d'un autre côté, des fois, on a un problème avec la qualité des données. On sent bien que, et je pense que là, à travers le COVID, les gens découvrent que nos données, c'est connu de longue date, les données qu'on utilise en épidémiologie sont souvent imparfaites. Mais là, dans la crise qu'on traverse actuellement, cette imperfection de données, elle ressort et puis elle rend encore plus difficile certains éléments d'interprétation parce que tout le monde veut comprendre ce qui se passe. C'est clair que la qualité des données qu'on a, elle est certainement améliorable. On doit certainement l'améliorer. Il y a un élément qu'on doit se poser la question : vous vous rappelez de la définition de la surveillance, c'est que ce n'est pas un moment donné on fait une collection de données, puis l'affaire est réglée. On cherche à le faire de façon continue au cours du temps, de la même manière d'un pays à l'autre, d'une région à l'autre. Là, on sait que c'est un des gros problèmes qu'on a actuellement, quand on veut comparer ce qui se passe en Suisse, en France ou en Allemagne, par exemple, ou dans les pays avec moins de ressources comme certains pays d'Afrique sub-saharienne ou d'autres pays qui ont des systèmes qui sont peut-être moins développés. On sent bien que les données par exemple sur les cas n'auront pas la même signification parce qu'on ne fait pas le même nombre de tests, on ne mesure pas forcément les choses de la même manière, et ça limite la comparabilité entre les études. Il y a cet élément-là qui, je pense, ressort très clairement avec les données qu'on a sur le COVID. Mais au cours du temps, si vous regardez ce qui se passe actuellement, si je prends l'exemple de la Suisse, l'exemple que je connais le mieux, on a eu cette première vague de COVID. Et là, actuellement, on a une augmentation du nombre de tests positifs, de cas probablement, mais on ne voit pas d'augmentation, en tout cas pour l'instant, au niveau des hospitalisations, on ne voit pas d'augmentation au niveau des cas. Se pose la question : est-ce que le virus a changé, ou bien, ce qui est probablement une explication beaucoup plus raisonnable, c'est probablement notre système de surveillance qui a changé, et qui tient au fait que la manière dont on décide ou non de faire certains tests, on fait des tests beaucoup plus fréquemment qu'auparavant, et ça biaise, ça altère comment on doit interpréter un cas comme il apparaît maintenant qu'un cas comme il apparaissait lors de la vague. Ça, c'est un des challenges notamment qu'on a actuellement à travers la surveillance du COVID. >> Je vous remercie pour cette réponse très détaillée. J'ai aussi envie de vous poser une question, vous avez parlé, notamment, du problème de comparativité entre les données. Comment on peut faire pour pallier cette problématique, si je peux me permettre de vous poser cette question-là? >> Je pense qu'effectivement c'est une très bonne question. Je pense qu'un des points en tout cas entre les régions ou dans les zones, à l'échelle de la Suisse, par exemple, il est clair qu'il faudrait avoir une définition sur laquelle on s'entend sur ce qu'on appelle un cas. Et puis, la question par exemple du nombre de tests, c'est un petit peu compliqué, parce qu'on peut bien imaginer que l'accessibilité aux tests, l'accès aux tests va changer d'un endroit à l'autre, donc c'est difficile de s'entendre là-dessus. Je pense que là où on peut s'entendre, c'est notamment sur les cas qui sont hospitalisés. Et je pense que, autant la statistique des tests va rester difficile à interpréter, même si elle est essentielle, parce qu'on doit s'occuper de ce qui se passe au niveau des tests ou des cas positifs pour essayer de prévenir l'évolution. Quand on commence à ne compter que les cas qui sont hospitalisés ou que les décès, là, on est déjà un petit peu tard, quand ils commencent à paraître, donc on doit s'occuper des deux. Si je reviens à un élément qu'on doit améliorer, c'est par exemple s'entendre sur une définition de ce qu'on appelle un cas qui est hospitalisé, avoir certains critères. C'est possible, en tout cas, au niveau de la Suisse, certainement de le faire, de s'entendre. D'ailleurs, il y a des bouts de collaboration par rapport à ça. On a certains critères qui permettent de s'entendre sur ce qu'on appelle un cas. C'est cette standardisation qui est un enjeu majeur de tout système de surveillance, c'est d'avoir des standards de comment on définit les cas, et ces éléments-là peuvent être certainement améliorables par rapport à ça. La même chose pour la mortalité en lien avec le COVID. Quand il y a un décès, par exemple une personne qui a été touchée par le COVID, il faut vraiment essayer d'améliorer la manière dont on définit le décès lié au COVID : est-ce que la personne est décédée avec le COVID ou est-ce qu'elle est décédée du COVID? Et là, ça passe par certains éléments de formation, de standardisation, s'entendre et éclaircir ces points-là pour être sûrs qu'on parle de la même chose. >> Merci beaucoup pour ces réponses. Je pense qu'on a bien compris la définition de la surveillance sanitaire. On a aussi bien compris son impact et son importance dans le cadre de la COVID-19. Chers apprenants, on va retrouver le professeur Chiolero dans une prochaine séquence que, j'espère, vous apprécierez. [MUSIQUE] [MUSIQUE]