Tout l'argot du travail du sexe, tout l'argot de la prostitution est un argot
qui renvoie à l'incongruité au fond, de la présence d'une femme dans l'espace public,
au lieu d'être dans l'espace privé à s'occuper de ses enfants.
Et donc une ambulante, une marcheuse, une trotteuse,
voilà des mots de l'argot français pour désigner une prostituée.
Il y a même un mot savant pour le dire, c'est péripatéticienne.
Ça renvoie à un mot grec qui veut dire déambuler, se promener.
Les péripatéticiens sont des philosophes.
C'est des philosophes de la Grèce antique, qui avaient l'habitude,
pour mieux discuter, pour mieux réfléchir, de marcher.
Mais une péripatéticienne, ce n'est pas une philosophe,
c'est une femme qui marche dans la rue ; et une femme qui marche dans la rue,
une marcheuse, une trotteuse, c'est une femme qui fait le trottoir.
Autre expression, une fille des rues.
Une fille des rues, c'est effectivement une prostituée,
et le fait d'être dans la rue suffit à la qualifier comme telle.
Et au XIXe siècle, on parlait également de demi-mondaines
pour désigner des femmes entretenues parce qu'elles étaient dans le monde
au lieu d'être dans leur espace privé, dans leur espace domestique.
Et il y a donc cette idée qui est portée par le vocabulaire, que toute femme au
fond, dans la rue, du fait qu'elle y est présente, est susceptible
de se prostituer ou susceptible d'être prise pour une prostituée.
Une des grandes figures de la modernité urbaine telle qu'elle a été
analysée en tout cas par Walter Benjamin à Paris, c'est la figure du flâneur.
Le flâneur c'est un homme.
C'est un homme qui consomme par le regard,
qui jouit par le regard du paysage urbain dans lequel il se promène.
Il est sur les boulevards, on le voit dans les tableaux impressionnistes avec
son chapeau, avec sa canne, il déambule et puis il regarde les monuments,
il regarde le paysage, il regarde les gens.
Et il regarde les femmes, car une femme qui se promène sur les boulevards,
ce n'est pas une flâneuse, c'est une prostituée, c'est une trotteuse.
Et donc c'est comme si l'équivalent du flâneur,
de celui qui consomme le plaisir urbain par le regard,
ce serait la prostituée, c'est-à-dire celle qui va lui offrir ce plaisir.
Dans la ville, dans l'espace public, l'homme est celui qui regarde,
la femme est celle qui est regardée, la femme est un spectacle pour l'homme.
Alors, ça nous renvoie à des catégories juridiques, qui ont été l'objet d'un
débat important en particulier en France, à propos du racolage.