Bonjour Jacques Le Cacheux. Vous êtes économiste, professeur à l'Université de Pau et à Sciences Po, chercheur à l'OFCE, l'Office Français des Conjonctures Économiques, et vous êtes spécialiste des questions économiques européennes. >> Bonjour. >> Alors, je voulais vous demander si, en 2016, >> l'Union européenne est enfin sortie de ce qu'on a appelé la crise de la zone euro? >> Presque, on pourrait dire. Comme le dit le président de la République, ça va mieux : la croissance économique est plus soutenue en Europe depuis deux ans, les tensions sur les marchés financiers et sur les marchés des dettes publiques sont, pour l'instant en tout cas, derrière nous, et la situation s'est quand même améliorée. Mais la situation économique de la zone euro reste fragile ; la croissance reste inférieure à ce qu'elle est ailleurs, dans les pays développés. >> Et ce terme de crise de l'euro vous paraît pertinent? >> Oui, le terme est pertinent dans la mesure où il y a eu, à partir de 2008, >> la crise financière internationale, la crise des subprimes, et un peu partout dans le monde une récession très profonde en 2009, qui a touché la zone euro comme le reste du monde. Mais ce qui caractérise, finalement, cette crise de la zone euro c'est que, à partir de 2010, la zone euro, et elle seule, a connu une rechute liée à ce qu'on a appelé la crise des dettes souveraines, et cette rechute a fait replonger l'économie européenne dans une récession en 2012-2013. >> Qu'est-ce qu'une dette souveraine, Jacques Le Cacheux? >> La crise de la dette souveraine est en fait la crise qui s'est ouverte au printemps 2010, avec la crise de la dette grecque et qui ensuite, par contagion, a touché un certain nombre de marchés de dettes publiques des pays de la zone euro : l'Irlande, le Portugal, >> l'Espagne, essentiellement. C'est une espèce de crise de défiance sur les dettes publiques des pays membres de la zone euro, un doute des investisseurs sur la capacité de ces pays à assurer le service de leur dette publique de façon pérenne. >> Cela veut dire de rembourser l'argent qu'ils ont emprunté sur les marchés? >> Exactement. Au fond, il y avait un doute sur la solvabilité de ces pays qui étaient particulièrement endettés, ou qui avaient des perspectives d'augmentation de leur dette publique particulièrement forte et qui, étant membres de la zone euro, ne peuvent plus recourir aux bons vieux expédients auxquels recouraient les pays jusqu'alors, c'est-à -dire essentiellement la création monétaire, l'inflation, etc. >> Mais on a dit aussi, à cette époque, que les dettes souveraines avaient été considérablement augmentées parce que les États >> européens, et de la zone euro en particulier, avaient été amenés à sauver leurs banques, à recapitaliser leurs banques, très touchées par la crise et que, du coup, on aurait fait supporter aux contribuables le poids des erreurs des banquiers ou des financiers. Est-ce que c'est aussi simple, Jacques Le Cacheux? >> Ce n'est pas tout à fait aussi simple que cela. C'est une partie de la vérité. Si vous regardez le cas de l'Irlande, par exemple, particulièrement frappant de ce point de vue là , la dette publique irlandaise, avant la crise de 2008, était extrêmement faible, une des plus faibles d'Europe. Et le gouvernement irlandais, en 2010, a été obligé de sauver les banques irlandaises qui étaient au bord de la faillite et a dû injecter plus de 50 milliards d'euros dans le système bancaire. C'est d'ailleurs un peu le même cas qu'on retrouve, à une échelle moindre, pour l'Espagne. Donc, il est vrai que la dette publique qu'on observe en 2010 est, en partie, le fruit de ces interventions publiques pour sauver les banques privées et pour faire face à des erreurs du secteur privé. Mais, en même temps, ce n'est pas l'unique cause : avant 2008, certains pays, notamment la Grèce, avaient déjà des niveaux de dette publique relativement élevés. >> Vous disiez, au tout début de cet entretien, qu'on était quand même sortis de la zone euro, >> même si ce n'était pas un oui franc et massif. À votre avis, est-ce que ces recapitalisations y sont pour quelque chose dans le fait, qu'en 2016, on n'en est pas vraiment sortis, ou est-ce que, au contraire, sauver le secteur bancaire a finalement permis de limiter des dégâts qui auraient été bien pires encore? >> Je crois qu'on était obligés de sauver le secteur bancaire. Le gouvernement américain a fait peu ou prou la même chose ; le gouvernement britannique, qui n'est pas dans la zone euro, a aussi injecté beaucoup d'argent public dans les secteurs bancaire et financier. Nous vivons dans des économies dans lesquelles les banques jouent un rôle tellement crucial que les États ne peuvent pas vraiment se permettre de laisser tomber le secteurs bancaire lorsqu'il y a des crises, qu'on appelle des crises systémiques. De ce point de vue là , aujourd'hui, on a fait un progrès significatif dans la zone euro en créant ce qu'on appelle l'union bancaire. Depuis un an et demi, la Banque centrale européenne est chargée de superviser les plus grandes banques européennes, et on est en train de mettre en place un mécanisme, qu'on appelle un mécanisme de résolution unique des crises bancaires ; en cas de faillite de grandes banques de la zone euro dans les années à venir, on a maintenant des procédures communes pour y faire face. Il devrait donc y avoir, à terme, une certaine déconnexion entre les erreurs éventuelles des grandes banques et leurs conséquences en termes de dette publique. En tout cas pas avant 2020, parce qu'il faut que tout cela se mette en place progressivement. >> En tous les cas, vous ne diriez pas que, s'il n'y avait pas eu la zone euro, les choses auraient été beaucoup moins pires. >> Si, je crois qu'on peut dire cela pour un certain nombre de pays, parce que les marges de manœuvre >> des pays qui n'étaient pas dans la zone euro était quand même beaucoup plus grande que celle des pays qui étaient contraints par leur appartenance à la zone euro, à la fois en raison des règles sur les déficits et des dettes publiques dans la zone euro, et en raison, simplement, de l'appartenance >> à une zone monétaire, avec une Banque centrale indépendante et une monnaie unique. Si on regarde dans le cas du Royaume-Uni, il a eu plus de marge de manœuvre, il a pu déprécier sa monnaie, ce qui a quand même facilité la sortie de crise ; alors que la Grèce, par exemple, n'a pas eu ce choix. L'eût-elle eu, peut-être que la situation aurait été pire, mais il y aurait eu davantage de marge possible. >> Ce que vous dites du Royaume-Uni, peut-on également le dire pour la Hongrie >> ou la Pologne, dont, manifestement, le taux de croissance ces trois ou quatre dernières années est plus élevé que le taux moyen de la zone euro? >> Oui, je crois que ces pays bénéficient, justement, du fait de leur non appartenance à la zone euro, de davantage de souplesse, notamment >> en termes de gestion de leur monnaie et de la parité monétaire, qui fait qu'ils ont eu, on peut dire, plus de facilité à sortir de la crise. Ceci étant, si on revient sur le Royaume-Uni, quand on regarde ses performances, même si, en 2015, elles ont pu apparaître relativement meilleures que la moyenne, depuis le début de la crise en 2008, ce n'est pas franchement mieux ; cela a été aussi une crise assez sévère là -bas. >> Vous voyez bien, évidemment, que votre sentiment, votre diagnostic, est très important, parce qu'il y a quand même un grand débat pour savoir si >> la zone euro est mal gérée, auquel cas on considère que la zone euro c'est bien mais on peut changer la politique publique à l'intérieur de celle-ci, ou, au contraire, s'il faut considérer que la zone euro est plus une partie du problème que de la solution. Si, finalement, c'est plutôt vers cette seconde hypothèse que vous penchez, cela peut avoir des conséquences importantes en termes de politiques publiques, jusqu'à se demander s'il ne faudrait pas supprimer l'euro et revenir aux monnaies nationales. >> Certains économistes, effectivement, considèrent que la création de l'euro a été une erreur et qu'il convient donc d'en tirer toutes les conséquences et de revenir >> à la situation d'avant 1999, c'est-à -dire des monnaies nationales. Pour ma part, je pense que la zone euro est amendable et perfectible. C'est toujours la métaphore de quand on est au milieu du gué : est-ce qu'il vaut mieux revenir en arrière, ou est-ce qu'il vaut mieux poursuivre pour franchir complètement ce gué? Personnellement, j'ai plutôt le sentiment qu'il serait souhaitable de poursuivre et de compléter, au fond, l'architecture institutionnelle de la zone euro. Cela fait longtemps que de nombreux économistes, dont je suis, mais aussi des responsables politiques parlent de gouvernement économique de la zone euro, parlent de ce qu'on appelle une capacité budgétaire de la zone euro. Pour l'instant, on a créé une banque centrale, des règles de politique budgétaire pour les États membres, mais on n'a pas d'institution permettant de coordonner efficacement les politiques nationales, notamment les politiques budgétaires et fiscales. >> L'Allemagne ne joue pas, de facto, ce rôle de coordinateur? >> L'Allemagne ne le joue pas parce que, au fond, dans le système actuel, chaque pays a vraiment intérêt à jouer les cavaliers seuls, et notamment l'Allemagne. L'Allemagne a eu la chance, finalement, d'avoir fait, avant la crise de 2007-2008, un certain nombre de réformes nationales d'ajustement pour retrouver la compétitivité qu'elle avait perdue dans les années 1990. Elle s'est donc trouvée, au moment de la crise de 2007-2008, dans une position beaucoup plus favorable que tous les autres pays membres de la zone euro. Et finalement, elle a plutôt choisi d'exploiter cet avantage individuel plutôt que de jouer collectif. >> Merci beaucoup, Jacques Le Cacheux. >> Merci.