Alors, venons-en à l'individu, l'être humain. Il est défini de façon classique comme homo sapiens, c'est-à-dire sapiens, c'est-à-dire la raison. La raison, ce qui est une chose aussi assez évidente. Ça ne veut pas dire que les animaux soient déraisonnables, ils ont leur propre rationalité. Mais la raison humaine, elle s'est développée à travers le langage, à travers la logique, à travers la philosophie, à travers les sciences, à travers des techniques. Donc si vous voulez, c'est évident que l'homme est un animal rationnel. Bon. Mais on oublie qu'à l'autre pôle, qui est le pôle je dirais homo demens, l'homme fou, l'homme délirant. Mais vous me direz, c'est peut-être très exceptionnel, ce sont seulement les déments que l'on enferme dans des asiles. Certainement que les déments qu'on enferme dans des asiles, mais ce ne sont pas les seuls cas de folie parce que chacun peut avoir sa folie provisoire, ne serait-ce que dans la colère, et la colère, c'est un moment où nous perdons toute raison, où nous devenons des imprécateurs, nous devenons des insulteurs, où nous sommes capable de battre, parfois certains de tuer. Regardez les faits divers : comme cette merveilleuse actrice qui a été tuée par son compagnon, ou comme la femme du philosophe Althusser qui a été tuée par par cet éminent philosophe. Donc ceux-là même, des êtres qui se voient la raison sont capables d'actes absolument démentiels. Et puis il y a tous ces phénomènes qu'on peut appeler la démesure. Est-ce qu'on ne vit pas dans une civilisation démesurée, où on veut toujours plus, où on veut toujours plus de technique, plus de consommation, plus de choses, plus de revenus. Est-ce que cet accroissement quantitatif est-il quelque chose de vraiment rationnel? Est-ce que les raisons pour lesquelles se déclenchent les guerres sont des raisons purement rationnelles? Est-ce qu'on prend pas des décisions, il y a pas des conquérants ivres de puissance, d'orgueil? Est-ce qu'il y a pas cette folie de la puissance? On s'est rendu compte que, sont très rares les cas où le pouvoir rend sage quelqu'un qui ne l'était pas. Et que la plupart des cas, c'est que le pouvoir rend fou des gens qui étaient plus ou moins raisonnables, parce qu'ils sentent la toute puissance, l'ivresse de la toute puissance. Et vous savez que quand vous voyez l'histoire des rois, de leurs relations, vous voyez des meurtres, des assassinats, des intrigues de palais, des coups d'états. Bon, l'homme n'est pas qu'homo sapiens, il est à la fois les deux. Et le vrai problème, c'est de pouvoir naviguer entre les deux. C'est-à-dire d'unir la passion contrôlée par la raison, et tout en sachant qu'il n'y a pas de raison pure, qu'il y a toujours des émotions de la raison, et qu'il faut conrôler toujours passion par raison, et raison par passion. Maintenant j'en viens au point de l'homo faber. On définit l'homme comme celui qui produit des techniques, des outils. Et c'est vrai que dès la préhistoire, il se diffère aussi des autres animaux parce qu'il fait des outils avec des pierres, avec des silex qu'il taille. Et puis après la pierre taillée, c'est l'ère de la pierre polie, et puis après c'est le travail sur les métaux. Et puis aujourd'hui nous voyons cette prolifération des techniques dans tous les domaines, que ce soit les avions, les missiles, que ce soit les automobiles, que ce soit les outils ménagers. Bref, c'est évident que l'homo faber ça définit l'homme. Mais on oublie l'autre définition qui est le contraire. C'est la mythologie, ou c'est la croyance. Et dès la préhistoire aussi, dès Néandertal, les morts sont accompagnés de leur nourriture et de leurs armes, ou bien ils sont dans une position de fœtus, c'est-à-dire de renaissance. Et effectivement, nous avons, notamment dans beaucoup de sociétés archaïques, la croyance que les esprits des morts, leur spectre va continuer à vivre. Et même dans les antiques civilisations, comme la civilisation grecque, les morts vivaient dans des lieux spéciaux, dans des enfers, une vie un peu amoindrie, mais enfin ils continuaient à vivre. Et dans le monde hindou, des Indes, c'est la croyance que l'on renaît dans un animal ou un autre être vivant. Et ce qui s'est passé, c'est qu'à un moment donné, il y a eu ce qu'on appelle les religions du salut, où c'est l'immortalité qu'on a pu avoir après la mort, pas seulement un spectre qui mène une vie un peu affadie, mais une vie glorieuse dans les paradis, que promettent l'Islam comme le Christianisme. Donc si vous voulez, même la société la plus techniquement évoluée, comme la plus matérialiste, comme l'Amérique, elle est très spiritualiste du point de vue des religions, du point de vue des cultes. Et ça c'est une chose que vous retrouvez absolument partout. Même que l'Union Soviétique ait voulu extirper la religion, elle l'a au contraire renforcée. Alors venons-en à un troisième fait, c'est l'homo oeconomicus. On définit l'être humain par l'intérêt personnel, et c'est vrai de plus en plus, à partir du développement du règne de l'argent, du capitalisme, du développement économique. Mais, en même temps, c'est vrai qu'on est de plus en plus avide d'intérêts personnels, mais ça n'empêche pas d'être en même temps ce qu'on a pu appeler homo ludens, un homme du jeu, J-E-U, de la dépense, de la folie dépensière, de l'ivresse du jeu dans les casinos ou bien le jeu, les jeux sportifs, la passion du football, la passion du rugby, la passion du tennis. Nous nous rendons compte que nous n'avons pas seulement le besoin de consommer, mais parfois le besoin de nous consumer, c'est-à-dire en quelque sorte de brûler notre vie intensément, d'obéir à ce que disait Madame Rita Levi-Montalcini, ce prix Nobel de sciences, italienne, qui disait : « Donnez de la vie à vos jours plutôt que des jours à votre vie ». Et vivez pleinement plutôt que de vouloir économiser vos jours. Et alors donc, vous avez l'être humain, il est à la fois prosaïque, c'est-à-dire, il fait des choses obligatoires pour survivre. Mais en même temps, s'il veut vraiment vivre, il doit, au-delà de la survie, chercher la plénitude dans la communion et dans l'amour, et dans la joie. Et donc voici la nature complexe de l'être humain.