-Le climat change à partir de 1973, puisqu'on est dans une période de crise économique qui s'annonce avec la crise pétrolière. En 1973, certains pays européens, comme l'Allemagne, le Benelux, et en 1974, la France, décident de suspendre l'immigration de main-d'oeuvre salariée, ce qui va créer des effets pervers. C'est la fin des allers-retours des migrants dans leur pays d'origine, donc ça accélère le regroupement familial. Ceux qui anticipent l'avenir et notamment, ceux qui sont sortis des régimes autoritaires, comme les Espagnols et les Portugais, reviennent chez eux puisqu'ils savent qu'à terme, ils pourront revenir vers les pays d'immigration. Les autres, au contraire, restent et font venir leur famille parce que leurs allers-retours sont de plus en plus difficiles. Développement de l'immigration familiale, de l'immigration irrégulière, parce que progressivement, cette immigration qui vient du Sud est de plus en plus contrôlée, surtout à partir de 1985 avec les visas Schengen. Egalement, on a développé la politique d'intégration dès 1974 puisqu'on a pris conscience qu'une partie allait rester. Donc, politique de logement, politique d'accès aux droits. Les étrangers accèderont à l'égalité des droits sociaux dans l'entreprise en 1975. Egalement, début de l'expression de l'islam, à partir du milieu des années 1980. On voit l'islam apparaître dans les grands conflits de l'industrie automobile, Renault, Citroën, Peugeot, pour demander des salles de prière sur les lieux de travail, également des salles de prière dans les foyers. Une visibilité de l'islam dans l'espace public plus marquée, avec des librairies musulmanes, du prêt-à-porter musulman, des boutiques de viande halal, la construction de salles de prière ou la reconversion de locaux en salles de prière dans l'espace urbain. D'autres éléments caractérisent cette période de la fin des années 1980, comme la question des sans-papiers et l'entrée progressive du dispositif européen dans la législation française. C'est en 1993 que, pour la première fois, dans la loi Pasqua, le dispositif européen entre dans la loi française. Mais aussi dans cette période de durcissement de la politique migratoire, une expression forte des jeunes issus de l'immigration, dont une partie est née en France, qu'on appelle les deuxième génération. Ils s'expriment sous la forme de ce qu'on a appelé le mouvement beur, qui est une expression en verlan de "arabe", renversé pour les syllabes. Ce mouvement beur revendique la lutte contre les discriminations. La "marche des beurs" de 1983 s'appelle "Marche pour l'égalité et contre les discriminations". Lutte contre les discriminations, contre la double peine, le fait d'avoir été condamné et d'être reconduit ensuite dans son pays d'origine. C'est aussi l'expression d'une citoyenneté concrète fondée sur la participation aux affaires de la cité. Ca permet aussi de réfléchir, pour tous ces jeunes, à comment être français et musulman. A partir des années 1990, on a un paysage qui se durcit pour l'entrée sur le territoire, comme dans tous les pays européens, puisqu'on met en oeuvre progressivement les accords de Schengen avec les visas. On change la politique de l'asile. On a une politique européenne d'asile plus restrictive, puisqu'on veut l'harmoniser, que le dispositif général de la Convention de Genève de 1951. On commence à sanctionner les transporteurs. On a donc un climat très anti-immigration. Cette situation va déboucher sur toute une série de revendications fortes sur la question de l'ouverture des frontières et sur la question de la citoyenneté européenne, puisqu'en 1992, la citoyenneté européenne est définie dans le traité de Maastricht. Elle est fondée sur la liberté de circulation, d'installation et de travail pour les Européens. Il y a deux régimes. On distingue, d'un côté, les étrangers européens et les non-européens, qui sont assujettis à visas pour entrer sur le territoire. On a aussi, dans cette période, avec la chute du mur de Berlin, le début des effets secondaires, si j'ose dire, d'une entrée de ces migrants de l'Est, puisque l'essentiel d'entre eux arrive en Allemagne et en Autriche et assez peu nombreux en France. Pendant cette période, la politique européenne de l'immigration se développe avec toute une série d'éléments qui la caractérisent, c'est-à-dire que les flux sont gérés à Bruxelles, les questions d'intégrations sont gérées à l'échelle nationale. La France amplifie son dispositif de politiques d'intégration, avec quelques instruments particulièrement forts, notamment l'ouverture progressive en permanence du droit de la nationalité, notamment à plus de droit du sol, à plus de facilitation de l'accès à la nationalité française. Pendant cette période, elle amplifie aussi sa politique de la ville, qui est un autre instrument important de la politique d'intégration. Initialement, cette politique de la ville était destinée à lutter contre la violence urbaine dans un terme de prévention. Progressivement, ça va être une politique des quartiers, d'intervention, de discrimination positive, si j'ose dire, dans les quartiers les plus pauvres avec une classification des zones d'intervention plus forte de l'Etat. On a aussi une politique qui multiplie les présences de l'Etat, une police de proximité, dans les années 1980, 1990, surtout. On a aussi une politique de présence scolaire plus importante en termes de taille des classes, par exemple, et une politique également marquée par ce qu'on appelle la médiation culturelle, avec des éducateurs, des cadres associatifs, des femmes relais, qui sont destinés à créer un dialogue entre les pouvoirs publics et la population. Dialogue également sur le terrain de l'islam, puisque Pierre Joxe, quand il est ministre de l'Intérieur, crée le CORIF, Conseil d'orientation et de réflexion sur l'islam en France. Le paysage change à nouveau à l'aube du XXIe siècle. D'une part, parce que la migration se mondialise, et on voit en France les effets de cette mondialisation avec de nouvelles nationalités qui étaient très peu présentes dans le paysage politique français, comme des gens qui viennent d'Asie, notamment le développement de la migration chinoise à partir des années 1990, 1995, mais aussi les Pakistanais, les Bangladeshis, les Sri Lankais, toute une série de nouvelles nationalités qui apparaissent. Pendant cette période, on a également un durcissement très fort de la politique de l'immigration à partir de 2007, surtout, mais déjà un peu auparavant. On commence à mener une politique de lutte contre les discriminations dans la loi, puisqu'une directive européenne de 2000 définit les terrains et les instruments de cette politique de lutte contre les discriminations. La législation, là-dessus, entre de plein pied en 2001 et 2002, surtout à l'encontre des discriminations au travail. Pendant cette période, on discute, on le faisait déjà depuis longtemps, sur l'opportunité ou pas de donner le droit de vote local aux étrangers. Ce débat va durer 30 ans, il n'a toujours pas été résolu. Il a commencé à la fin des années 1970 et on en discute encore aujourd'hui. Caractéristique également de cette période, le début de ce qu'on appelle aujourd'hui "Calais". A l'époque, c'est Sangatte, après la construction de l'Eurostar, on a un début d'installation de gens qui viennent surtout du Proche et du Moyen-Orient, en face de l'Angleterre dans l'espoir de pouvoir y passer. On aura plusieurs éradications, si j'ose dire, de ces installations de fortune en 2002 et puis ensuite, en 2009. Autre élément de cette politique, la question de l'islam visible. On a eu déjà, depuis 1989, la question du foulard. On a une loi en 2004 qui va interdire l'expression visible de l'appartenance religieuse, notamment de la part des fonctionnaires publics, mais aussi dans les espaces publics pour les mineurs, comme l'école. Ca sera interprété comme une interdiction du foulard à l'école. On a également, pendant toute cette période, un durcissement, surtout entre 2007 et 2012, de la politique migratoire en France, qui va se caractériser par des expressions très fortes de sans-papiers, par des émeutes urbaines. La plus importante, récemment, est celle de Clichy-sous-Bois en 2005, mais on avait eu 30 ans d'expérience des émeutes urbaines depuis la fin des années 1970, dans la banlieue lyonnaise, jusqu'à aujourd'hui. On assiste aussi à des discriminations policières, qui sont consignées, notamment par les associations de défense des droits de l'homme et sur le terrain de la lutte pour faire respecter la déontologie de la sécurité. Ces affectations sont de la responsabilité du défenseur des droits qui continue de dénoncer ces discriminations policières. La question des seconde et troisième générations est aussi au centre du débat, puisque ces populations sont de plus en plus françaises, considérées comme visibles, et donc souvent victimes de ces discriminations. Parmi les derniers éléments de cette politique, aujourd'hui, on a notamment l'afflux des demandeurs d'asile. La France est un grand pays d'accueil des réfugiés depuis la Convention de Genève. Elle fait partie du peloton des quatre pays européens qui ont accueilli, ces dernières années, le plus de réfugiés, avec l'Allemagne, qui est de loin le premier pays européen d'accueil, mais aussi la Suède et le Royaume-Uni. Donc on est parmi les grands pays d'accueil, même si d'autres pays en ont accueilli beaucoup, compte tenu de la taille de leur population, comme la Suisse, depuis toujours. La question des réfugiés commence à devenir particulièrement importante, pas tellement avec le début des révolutions arabes, puisqu'on avait eu peu d'arrivées après les crises syrienne et tunisienne, quelques dizaines de milliers. La France avait d'ailleurs fermé ses frontières en 2011. Elle le fera de nouveau en 2015. Il y a eu l'arrivée des Syriens qui, pour l'essentiel, ne sont pas arrivés très nombreux en France. Mais d'autres nationalités arrivent aussi jusqu'au territoire français, notamment des victimes d'autres crises qui se sont produites depuis ces vingt dernières années. Des Algériens, de la crise algérienne de 1995, également des Kurdes, mais aussi des personnes qui sont victimes de tout ce qui se passe dans la corne de l'Afrique, des Soudanais, des Erythréens, des Somaliens, et aujourd'hui, des Syriens, mais aussi des Irakiens, des Afghans. Donc on a un paysage migratoire de plus en plus diversifié, aujourd'hui, marqué par la question des réfugiés, même si les questions d'intégration sont une sorte de passion française et si, en permanence, les débats pour savoir si les étrangers et les populations issues de l'immigration sont "intégrées", continuent à faire rage dans le débat politique français.