[MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour, Jérôme Kohler. >> Bonjour. >> Jérôme Kohler, vous êtes le directeur de l'initiative philanthropique, vous êtes expert en philanthropie, et cofondateur de la chaire Philanthropie de l'ESSEC. J'ai une question pour vous. Quelle est d'après vous la valeur ajoutée de la philanthropie pour la société française? >> Pour moi, je dirais qu'il y a quatre points majeurs dans lesquels on voit une vraie valeur ajoutée. Le premier point c'est que la philanthropie s'insère dans les interstices de la société. Un exemple frappant pour moi, c'est celui des maladies orphelines, qui ne sont pas assez nombreuses pour être couvertes par la recherche privée parce que pas assez rentables, et par la recherche publique parce que trop petites entre guillemets. Donc, ça c'est un exemple qui me paraît fort en termes d'interstice. Le deuxième point c'est l'innovation et l'expérimentation. Et on a notamment le cas avec le Samu social qui été une action qui a été financée à l'origine par des fondations et qui a montré son utilité et du coup, aujourd'hui c'est devenu un service public. Troisième point, c'est l'audace, la capacité finalement à se saisir d'un certain nombre d'expérimentations ou de projets. Je pense par exemple au Social impact bonds dont on parle depuis quelques années, mais qui aujourd'hui commencent à être expérimentés en France, et enfin, et point non négligeable, c'est que la philanthropie apporte quand même des finances, des financements à la société, et met un peu d'huile dans les rouages sur un certain nombre d'actions d'intérêt général. >> Alors, comment qualifieriez-vous au contraire les limites de la philanthropie? >> Les limites de la philanthropie, j'en verrais plusieurs. La première c'est finalement la taille parce qu'on parle Bill Gates, etc. On raisonne en milliards de dollars mais la philanthropie entre guillemets au quotidien, c'est souvent de petites fondations, en tout cas en France, et du coup il y a cette difficulté à se saisir d'un problème de société alors qu'on est minuscule. Je pense notamment à l'éducation où des expérimentations sont menées par des fondations par exemple en termes de soutien scolaire, mais évidemment ces expérimentations qui sont des succès avec 30 ou 100 élèves ne sont pas du tout capables de monter en puissance pour s'attaquer entre guillemets à des sujets d'éducation nationale. Ça c'est un premier point. D'autre part, le deuxième point c'est un certain conservatisme, voire suivisme de la philanthropie. On le voit par exemple avec des projets ou des quartiers ou des actions d'un seul coup sont sous le feu des projecteurs et tout le monde se précipite par exemple pendant plusieurs années et du coup il y a un certain effet de mode sur ce genre de sujets. Et les deux points qui me paraissent importants, c'est le manque de questionnement à terme de la philanthropie, c'est-à-dire sur sa capacité à évaluer sa propre efficacité. On demande beaucoup au bénéficiaire quelle est votre efficacité? Mais le philanthrope lui-même ou sa fondation ne se posent peut-être pas toujours la question. Et le dernier point c'est parfois le manque de hauteur de vue, ou la capacité à insérer des actions philanthropiques dans une problématique globale de société. Il y a eu une véritable gifle je pense dans ce domaine. Après le 11 janvier, on s'est aperçu que toutes les actions des fondations dans les banlieues, finalement, avaient laissé échapper cet énorme éléphant dans le magasin de porcelaine, qui était la radicalisation des jeunes. [AUDIO VIDE] >> Finalement la philanthropie en mobilisant les personnes fortunées au service de l'intérêt général n'est-elle pas un vecteur de renforcement des inégalités que la philanthropie souhaite cependant combattre? >> Si, je pense qu'il y a une sorte d'effet pervers là, parce que le fait que ce soit les plus fortunés qui puissent distribuer la richesse entraîne malgré tout une asymétrie entre les donateurs et les bénéficiaires, ça c'est un point important. Et, d'autre part, la philanthropie n'est pas neutre en quelque sorte, elle porte une certaine vision de la société, une vision politique au sens noble du terme et néanmoins elle porte aussi des faiblesses. On le voit notamment par exemple sur la transmission des inégalités ou la reproduction des élites. Le fait que, très simplement, les grandes écoles, par exemple, bénéficient plus elles sont grandes, de plus de financements et de plus de philanthropie, fait que finalement il y a une reproduction des élites avec des moyens de plus en plus importants par rapport à des universités en France qui aujourd'hui ont beaucoup de difficultés à trouver les moyens de se financer. Reproduction des élites, je pense que c'est un des thèmes les plus importants dans les risques en quelque sorte ou les limites de la philanthropie. >> Alors pour finir, du coup, quel est pour vous l'enjeu majeur pour la philanthropie dans les années à venir? >> C'est un enjeu qui est apparu très récemment, mais qui me semble déterminant, c'est finalement la montée des nationalismes où on voit que la philanthropie qui a quand même aussi une vocation universelle d'un seul coup est renvoyée comme à l'intérieur de ses frontières. En France il y a un nouveau décret qui est en discussion sur le fait de limiter finalement l'étranger au sein des actions humanitaires. L'élection de Trump, aussi, à mon avis est un signe fort de ce risque pour le secteur philanthropique. >> Jérôme Kohler, un grand merci pour votre participation à notre MOOC. >> Merci à vous!