[MUSIQUE] [MUSIQUE] Les astronomes ont progressivement réalisé que notre Soleil n'est qu'une étoile assez ordinaire de la Voie lactée, qui elle-même n'est qu'une galaxie parmi d'autres dans notre Univers. Ces galaxies, leurs structures et les amas qu'elles constituent peuvent se comprendre grâce à la force de gravitation. Cela semble facile, mais très rapidement, les physiciens ont butté sur une question, celle de la matière noire, qui concerne à la fois l'infiniment petit et l'infiniment grand. L'histoire commence en 1933. Fritz Zwicky, un physicien d'origine bulgare qui travaille au California Institute of Technology, rédige un article qui résumait les connaissances de l'époque sur les amas de galaxies. Cet article, intitulé sobrement Le décalage vers le rouge des nébuleuses extragalactiques, traite des observations sur les mouvements internes de galaxies dans des structures plus larges, que sont les amas de galaxies. Son dernier paragraphe se concentre tout particulièrement sur l'amas de la Chevelure de Bérénice, qui contient près de 1 000 galaxies, et est située à une distance de plus 320 millions d'années-lumière de la Terre. Dans son dernier paragraphe, Zwicky fait une observation qui restera dans l'obscurité pendant près de 40 ans. En mesurant la vitesse individuelle de plusieurs galaxies de l'amas de Bérénice, il remarque que leurs vitesses respectives sont bien plus grandes que celles prédites par la physique classique newtonienne. En conclusion de son article, il écrit, Si cela devait être confirmé, nous aurions le résultat surprenant qu'une forme de matière noire serait présente en bien plus grande quantité que la matière visible. En effet, un mouvement plus rapide de galaxies dans une grande structure, comme un amas pourrait être justifié par la mécanique newtonienne si une masse invisible ou matière noire remplit l'espace entre les galaxies et les attire, sous l'effet de la gravitation. Cet article, qui aurait pu devenir un article révolutionnaire à l'époque, restera ignoré pendant très longtemps. En 1939, Horace Babcock finalise sa thèse de doctorat à l'observatoire de Lick en Californie également, sous le titre La rotation de la nébuleuse d'Andromède. Andromède est la galaxie la plus proche de la Voie lactée. Elle est située à moins de 3 millions d'années-lumière de la Terre, et les scientifiques la nomment M31. Andromède est une galaxie sœur de la nôtre, d'une taille et contenu similaires. C'est pour cela qu'elle fait l'objet de nombreuses études depuis bien longtemps. En effet, dès 1918, des observations avaient déjà montré que les étoiles d'Andromède tournaient autour de son centre. Babcock va encore plus loin dans sa thèse et montre que les étoiles lointaines du centre tournent à une vitesse bien supérieure à ce qui est prédit par la physique newtonienne. Sans le savoir, il arrive donc à la même conclusion que Zwicky. Il y aurait une masse supplémentaire de matière, invisible aux observations astronomiques et répartie dans l'ensemble de la galaxie d'Andromède. L'influence gravitationnelle de cette masse supplémentaire expliquerait la vitesse des étoiles éloignées du centre. Après des calculs détaillés, Babcock conclut, la masse de la galaxie d'Andromède est 50 fois plus grande que celle prédite par les observations de ses étoiles. Résultat surprenant pour une galaxie sœur de la nôtre, mais les travaux de Babcock, tout comme ceux de Zwicky, restent eux aussi ignorés pendant plusieurs décennies. Durant les 30 années qui suivent, les technologies d'observation et d'enregistrement ne cessent de s'améliorer, en particulier dans le domaine de la radioastronomie après la Seconde Guerre mondiale. Ces nouveaux outils confirment le comportement inhabituel des étoiles dans leurs galaxies. Cependant, durant toutes ces années, on ne parle pas d'un problème de matière noire, mais plutôt de luminosité manquante. Les physiciens pensent alors que des étoiles sont présentes, mais qu'on ne les voit pas, parce que du gaz interstellaire absorberait leur lumière et les rendrait, pour ainsi dire, invisibles. Cependant, la situation change drastiquement dans les années 70 avec l'apparition des transistors qui remplacent les tubes à vide, ouvrant la voie à des ordinateurs capables d'effectuer des simulations numériques complexes pour l'époque. Grâce à ces outils numériques, Ostriker et Peebles montrent que la stabilité des galaxies nécessite la présence d'un halo de matière noire entourant les populations d'étoiles. Sans ce nuage de matière noire entourant les galaxies et les amas de galaxies, ceux-ci seraient totalement déstructurés, et les étoiles ne suivraient pas les mouvements de rotation observés. Cet article lance la recherche de la matière noire, tant sur le plan expérimental que théorique. En effet, comment détecter la matière noire? Comment l'expliquer? Si cette matière noire est bien de la matière, on peut s'attendre à ce qu'elle soit constituée de particules nouvelles, inconnues des physiciens. Le cahier des charges initial est simple. Elles doivent être difficiles à détecter autrement que par leurs interactions gravitationnelles. Plusieurs théoriciens proposent ainsi des candidats pour cette matière noire, qui pourraient s'insérer dans des extensions du modèle standard de la physique des particules. Tout l'enjeu consiste ensuite à parvenir à observer ces particules évanescentes. Ainsi, les théoriciens, qui ne sont jamais à court d'idées, ont proposé des candidats de matière noire très légers, comme des axions, qui sont des millions de fois plus légers que le proton, ou des candidats très lourds, des millions de fois la masse du proton. Mais le plus populaire reste une particule d'une masse quelques centaines de fois celle du proton, proche de la masse du boson de Higgs, découvert en 2012. Ce serait une particule massive et faiblement chargée, que l'on appelle de son acronyme anglais WIMP, pour Weakly Interacting Massive Particle. En anglais, wimp signifie aussi mauviette, et rappelle que ces WIMP interagissent très peu avec leur environnement. Mais si cette particule existe, comment la découvrir? Ce n'est pas si facile. En effet, elle n'est pas chargée électriquement, elle n'interagit pas par interaction électromagnétique, elle n'émet pas de lumière et elle n'ionise pas la matière, ce qui rend donc son passage dans les détecteurs très difficile à identifier. On pense toutefois qu'elle pourrait interagir avec les particules du modèle standard et donc de la matière des détecteurs un peu comme les neutrinos. On peut alors imaginer trois manières différentes de détecter ou capturer ces particules de matière noire. Premièrement, la détection directe, en faisant interagir une particule de matière noire avec de la matière ordinaire dans un détecteur. Deuxièmement, l'observation de galaxies. Vous pouvez voir l'annihilation de deux particules de matière noire qui produirait des particules ordinaires, plus faciles à détecter. Ou enfin la production dans les accélérateurs de particules, en créant des paires de particules de matière noire dans des collisions très énergétiques. Revenons tout d'abord sur la détection dite directe. Pour cela, depuis plus de 30 ans, des équipes expérimentales se sont lancées dans une course mondiale pour construire le plus grand piège à matière noire. Par exemple, on peut utiliser les atomes de xénon, car on peut détecter le recul des électrons ou du noyau du xénon quand l'atome interagit avec des particules de matière noire. Des équipes internationales de chercheurs ont installé de gigantesques cuves contenant plus de trois tonnes de xénon dans le laboratoire souterrain du Gran Sasso en Italie, afin de détecter la matière noire tout en évitant toute contamination extérieure. En parallèle, un deuxième mode de détection a vu le jour, cette fois-ci en observant la Voie lactée et les galaxies voisines. En effet, si des particules de matière noire n'interagissent que faiblement avec la matière, elles peuvent s'annihiler entre elles au sein même des galaxies. Les particules issues de ces annihilations pourraient émettre à leur tour des photons de très haute énergie. Ces rayons gamma peuvent être observés par des satellites comme FERMI, ou des télescopes comme HESS en Namibie. Enfin, le troisième moyen de détecter une telle particule invisible serait de la produire directement dans les grands accélérateurs de particules comme le LHC au CERN à Genève. Une fois produites, ces particules de matière noire n'interagiraient pas avec le détecteur, et s'échapperaient en emportant une grande quantité d'énergie. On s'apercevrait donc de la production de ces particules en faisant le bilan énergétique de la collision, et en remarquant qu'une fraction importante de l'énergie de collision manque dans les détecteurs. Pour l'instant malheureusement, aucune particule de matière noire n'a pu être détectée, mais les nouvelles technologies ont renforcé la compétition entre l'Europe, les États-Unis et la Chine, nouvel acteur stratégique dans ce domaine de recherche. De nouveaux résultats sont attendus dans les prochaines années. En conclusion, nous avons vu que depuis déjà plus de 80 ans, le mystère de la matière noire reste entier. Imaginée pour expliquer des observations concernant les galaxies et les amas de galaxies, cette matière noire pourrait être constituée de particules lourdes au-delà du modèle standard de la physique des particules. Il existe plusieurs manières de chercher ces particules, dans des détecteurs souterrains, par des observations astrophysiques, ou par des expériences dans des accélérateurs de particules. Les physiciens espèrent que la matière noire sera bientôt découverte et qu'elle résoudra de nombreuses questions dans le domaine de l'infiniment petit, comme dans celui de l'infiniment grand. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]