Alors cette fonction de transfert va nous permettre de
comprendre pourquoi le spectre produit par notre laser est un
peigne de fréquences qui est parfaitement équidistant.
Et c'est assez intéressant de comprendre d'où cela vient.
On sait que le spectre est nécessairement constitué d'un peigne de
fréquence équidistant, puisqu'on a un train d'impulsions périodiques.
Essayons de comprendre d'où cela vient.
Alors si je prends une cavité vide, comme celle qui est représentée ici,
et bien je sais que phi de oméga va simplement être égal à oméga T.
Pourquoi? Et bien parce que la
fonction de transfert pour faire un aller-retour, ici, dans la cavité,
et bien c'est tout simplement une fonction qui a une phase : oméga T.
Puisque un décalage dans le temps de grand T cela correspond à une phase,
phi de oméga qui est égale à oméga T.
Pour une cavité vide,
on sait qu'effectivement la fonction de transfert de la cavité c'est cette droite
et en appliquant la condition de bouclage dont j'ai parlé dans la diapo précédente,
c'est à dire que cette phase doit être égale à un multiple de deux Pi,
et bien obligatoirement je vais avoir un ensemble de pics ici,
je vais avoir un peigne de fréquence, qui correspondent, enfin chacune de
ces dents du peigne correspond à mode longitudinal de la cavité.
C'est finalement quelque chose de très banal, et que vous connaissiez sans
doute : dans une cavité les modes longitudinaux sont régulièrement espacés.
Le problème c'est que cela est vrai pour une cavité vide, et une cavité vide cela
ne va pas fonctionner parce que comme il y a toujours des pertes,
et bien l'impulsion qui voyage dans cette cavité vide va s'atténuer.
Donc on est obligé de mettre un milieu amplificateur dans la cavité, en
l'occurrence le saphir dopé au titane pour compenser les pertes, ne serait-ce que
les pertes liées aux réflexions partielles sur ce miroir de sortie de la cavité et,
si on met un milieu matériel, et bien on va avoir une dispersion positive,
c'est à dire que la phase phi de oméga,
en réalité, après un aller-retour dans la cavité, elle va,
en plus de cette phase linéaire oméga T, comporter la dispersion dans le matériau.
Et donc on va avoir une phase qui va avoir une courbure tournée vers le
haut comme représenté ici.
Et donc les points où la phase est un multiple de deux Pi, ils ne vont plus être
régulièrement espacés, vos modes longitudinaux vont avoir cette allure-là.
Donc on n'a plus du tout un peigne de fréquences régulièrement espacé.
Dans notre première vision, naïve,
de l'oscillateur femto seconde on s'était dit qu'à cela ne tienne,
on va ajouter dans la cavité un élément qui a une dispersion négative.
Et, pour compenser la phase spectrale du milieu amplificateur, on va avoir une
phase spectrale avec une courbure tournée vers le bas, pour que la somme de ces deux
phases soit à nouveau une droite parfaite et on retrouve des pics équidistants.
Le problème, comme on l'avait vu, c'est que cela ne sera évidemment pas possible
d'arriver à compenser parfaitement la phase du saphir dopé au titane.
Il sera impossible que les deux phases celle provenant de ce milieu-là,
et celle provenant de ce dispositif-là,
soient exactement opposées pour toutes les valeurs de la fréquence.
Et cette petite différence va faire que,
passage après passage, vous allez déformer votre impulsion.
Et donc comme on l'avait vu, en réalité on va fonctionner dans un
régime global qui aura une dispersion négative.
C'est à dire que si j'appelle phi seconde T la dérivée seconde de la
phase spectrale correspondant à un aller retour dans le saphir dopé au titane,
et puis si j'appelle phi seconde MD la dérivé seconde de la phase provenant
des miroirs dispersifs, et bien je sais que je vais me placer dans
un régime ou phi seconde MD plus phi seconde T est négatif.
C'est à dire un régime où la dispersion nette de la cavité est négative.
Donc en réalité je vais me placer dans ce régime-là.
Donc à nouveau j'ai une phase qui va être courbée et donc des pics qui ne
vont pas être équidistants.
Cela c'est si je prends en compte uniquement la fonction de
transfert linéaire de la cavité, et ce qui va se passer c'est que,
grâce à l'effet Kerr optique dans le saphir dopé au titane,
je vais avoir un terme supplémentaire, je vais avoir un terme de phase non
linéaire qui va en fait combler exactement le déficit de phase que vous avez ici,
représenté en gris, pour que la phase de la fonction de transfert r de oméga qui
prend en compte l'effet Kerr optique, soit à nouveau parfaitement linéaire.
Et vous voyez finalement,
pourquoi les dents du peigne sont parfaitement équidistantes,
c'est parce que vous avez un asservissement incessant des
conditions dans la cavité pour que la phase non
linéaire soit telle qu'elle comble exactement toute cette zone ici en gris.
Et donc si vous changez n'importe quelle condition dans le laser, en fait,
instantanément la forme de l'impulsion va changer pour que cette forme
d'impulsion soit exactement appropriée pour avoir la bonne phase non linéaire.
Alors on avait vu un modèle, qui était le modèle du soliton,
où cette forme d'impulsion c'était la sécante hyperbolique,
mais en fait dans un vrai laser ce ne sera pas exactement une sécante hyperbolique,
ce sera la forme d'impulsion qui convient exactement pour qu'on ait la bonne
fonction de transfert, et des dents du peigne qui soient régulièrement espacées.
Qu'est-ce qu'on entend par régulièrement espacées?
C'est là où c'est réellement extraordinaire.
C'est que,
dans cette publication, Théodore Hänsch et ses coauteurs ont montré que la précision
de l'équidistance entre les dents du peigne était absolument extraordinaire.
En fait ce qu'ils ont montré,
c'est que l'équidistance des dents du peigne c'était dix puissance moins 17.
Donc une précision réellement fascinante.
Pour vous rendre compte de ce que c'est que dix puissance moins 17,
c'est le rapport entre quelques secondes et l'âge de l'univers.
Vraiment un nombre très, très grand.
Et cela on l'obtient parce que on a ce mécanisme adaptatif où
la forme de l'impulsion va constamment s'adapter,
s'ajuster, pour avoir cette phase linéaire.
Et c'est de là que vient l'équidistance des dent du peigne.
C'est de l'effet Kerr optique, cet effet optique non linéaire du troisième ordre,
que vient cette propriété remarquable, qu'on peut avoir un million de fréquences
qui vont être parfaitement équidistantes avec une précision de dix moins 17.
Cette précision absolument extraordinaire de notre peigne de fréquence a donné lieu
à des applications révolutionnaires dans le domaine de la métrologie.
En fait ce que les physiciens ont fait c'est qu'ils ont utilisé ce peigne de
fréquences comme une règle dans l'espace des fréquences pour mesurer
des fréquences.
Alors je vais revenir sur une expérience dont j'ai déjà parlé,
qui a été effectuée dans le groupe de Théodore Hänsch, c'est à dire la
mesure de la transition entre l'état un s et l'état deux s de l'atome d'hydrogène.
Mais cette expérience-ci qui date des années deux mille, a été faite avec deux
ingrédients supplémentaires par rapport aux expériences qui avaient été faites des
années avant : d'une part, elles utilisent le peigne de fréquences que
vous voyez ici, produit par un oscillateur femto seconde, et d'autre part elles ont
été effectuées en collaboration avec des équipes du bureau national de métrologie
et du laboratoire Kastler Brossel à l'École normale supérieure pour avoir une
horloge atomique extrêmement précise, une horloge atomique au césium,
où on jette les atomes de césium en l'air pour les laisser retomber,
pour qu'on ait un temps d'interaction qui soit suffisamment long, en tout cas
deux événements d'interaction suffisamment espacés pour qu'on ait une très,
très bonne précision dans cette horloge atomique, et ce qu'ils ont fait,
c'est qu'ils ont asservi la longueur de la cavité de l'oscillateur femto seconde à
cette horloge atomique pour connaître avec une très, très grande précision la valeur
de la période grand T dont je parlais tout à l'heure, et donc, ayant relié à
cet étalon de fréquence qu'est l'horloge atomique la période grand T, ils
connaissent avec une très grande précision l'espacement des dents du peigne,
et ça ça leur a permis de mesurer avec une grande précision la fréquence du laser qui
est utilisée ici pour faire l'absorption à deux photons dans l'hydrogène.
En fait pour mesurer cette fréquence ils ont fait battre dans cette photo diode
ici, ils ont fait battre le laser continu avec la dent du peigne qui
était la plus proche de ce laser continu, et en mesurant la fréquence de battement,
ils ont pu mesurer avec une très, très grande précision la fréquence de
leur laser, et en regardant pour quelle fréquence du laser on avait un
maximum d'absorption à deux photons, ils ont pu obtenir cette valeur de la
fréquence de transition entre l'état un s et l'état deux s.
Et bien sûr tout cela continue à utiliser les méthodes dont je vous ai parlé,
c'est à dire l'absorption à deux photons,
mais aussi la saturation d'absorption pour pouvoir s'affranchir de l'effet Doppler.
Et vous voyez la précision extraordinaire avec laquelle ils ont pu
mesurer cette fréquence de transition.
Donc ça permet de mesurer la constante de Rydberg,
mais ça a bien d'autres applications, et notamment,
l'une des perspectives qui est ouverte par ce type de mesure,
c'est qu'on va remplacer l'étalon de temps qui utilise la transition de structure
hyper fine dans le césium, on va remplacer cet étalon de temps par ce qu'on
appelle des horloges optiques qui vont utiliser ces oscillateurs femtoseconde.
Donc l'utilisation des peignes de fréquences pour la métrologie a vraiment
été une révolution qui a valu à Théodore Hänsch le prix Nobel de physique en 2005,
parce que ça a vraiment eu un impact absolument considérable sur
cette discipline.